Les
festivités de l'Ascension à Nîmes
À
l'indépendance de l'Algérie, en juillet 1962, une
des statues de la Vierge a été installée à Nîmes-Courbessac
où se déroulent,
tous les ans pour l'Ascension, des festivités en l’honneur
de la Vierge de Santa-Cruz et des repliés d'Oranie.
J’y suis allé trois
fois seulement. La dernière fois, le 17 mai 2012, j'ai revu avec plaisir
Ali, le neveu du Bachagha
Boualam et, avec nostalgie, quelques
amis de la Cité Petit. J'ai fait un reportage de ce
pèlerinage que l'on peut voir en cliquant sur la vignette
de l'accueil intitulée : "17-05-2012
Ascension à Santa-Cruz
Nîmes-Courbessac".
La seconde fois, le 25 mai
2006, je n'ai aperçu aucune de mes connaissances
d'Oran. La première fois, c'était en 1987, j’y ai rencontré mes
anciens voisins de la Cité Petit, les R. qui habitaient
rue Marcel Petit. La fille aînée des D. avait épousé
M. R. Ils avaient une fille qui en souvenir
du passé, peut-être encore trop présent pour elle, n'avait
pas voulu me revoir à cette occasion. D'autres membres
de la famille D., qui eux habitaient la maison qui faisait
face à celle de mes parents étaient
également présents. Notamment,
un italien M. Z. marié à l'une des filles D., ancien légionnaire et vernisseur
de son état qui exerçait son métier dans un local, un garage qui
n'avait jamais connu cette destination, que mes parents
lui avaient loué et où j'allais, jeune garçon, apprendre le
métier de vernisseur amateur.
Cliquer ici pour les développements
Le
vernissage au tampon
Le
vernissage des meubles se faisait au tampon imbibé
de gomme laque dissoute dans de l'alcool à brûler. La surface du bois était
préalablement lissée à l'aide de poudre de pierre ponce,
toujours avec le tampon imbibé d'alcool,
et les fentes et nervures du bois étaient colmatées
par du talc qui était ensuite "mouillé"
et teinté avec le tampon à
la gomme laque. Comme ce travail s'effectuait à la main,
il demandait énormément de temps et donc beaucoup de
patience pour que le résultat final soit à la hauteur des
meilleurs vernis synthétiques qui devaient d'ailleurs,
bien malheureusement quelques années plus tard, supplanter définitivement
ce beau travail artisanal.
Eckmühl
et les arènes
On prononçait "Eckumühl".
C'est le quartier d'Oran où je suis né au
63 avenue
d’Oujda. J’ai vécu ensuite jusqu’à l’âge de 11 ans,
pas bien loin, avenue Albert 1er dans une ancienne
ferme réaménagée en habitation. Cette ferme appartenait
à mes parrain et marraine, les Levrero. C'était
un viager qu'ils payaient à leurs oncle et tante les
Talamante. Maman appelait le vieux Talamante. "el
viejo caco", c'est à dire "le vieux filou"
parce qu'il avait été plutôt malin en donnant son bien
en viager à sa nièce.
Du jardin, à travers les fissures béantes
du mur de pierres jointoyées à la terre rouge (on disait
du "bagali"), je voyais le palmier qui ornait
la propriété de nos voisins les Segura. et j'ai pu, grâce
à cet arbre, retrouver l'emplacement exact de cette
ferme dans une photographie aérienne d'Eckmühl et des arènes
reproduite ci-contre (le cercle blanc avec la flèche).

Mon
père m'avait emmené voir toréer Litri aux
arènes d'Eckmühl, un grand matador qui, à genoux,
tournait le dos au taureau qui aurait
pu facilement l'encorner. Un grand et inoubliable
moment de tauromachie ! En survolé, l'estocade.
|

En bas
et à gauche de la photo, la maison d'Adrien,
une relation d'internet.

Les
nouvelles arènes d'Eckmühl

Les
nouvelles arènes - Le fronton

Les
nouvelles arènes - L'entrée

Les
nouvelles arènes - La piste
J'ai
recherché dans plusieurs dictionnaires les racines du
nom de mon quartier (on parlait de faubourg) et j'ai trouvé dans le Larousse,
édition de 1952, que mon père m'avait acheté chez le
libraire Laurent Fouque et que ma mère avait recouvert de
tissu (les plis avaient été cousus pour le protéger), qu'Eckmühl
est le nom d'un village de Bavière, au sud de Ratisbonne,
où Napoléon y vainquit les Autrichiens en
1809. Cette
victoire, paraît-il, valut à Davout le titre de prince d'Eckmühl.
Un phare construit entre 1892 et 1897, l'un des plus
beaux du monde, situé à la pointe de Pemmarch dans le
Finistère, à 60 mètres au-dessus du niveau de la mer,
porte aussi ce nom glorieux.

Voilà,
je referme mon dictionnaire maintenant que ce petit mystère est éclairci, et
je reviens à mon histoire.
Les
aguaeros
Il
n’y avait pratiquement, à cette époque, que des charrettes
tirées par des ânes ou des mulets, qui servaient au
transport des marchandises. Certaines étaient chargées
de bonbonnes d’eau de 20 litres, que vendaient les "aguaeros"
(terme oranais à consonnance espagnole signifiant "vendeurs
d'eau").
La protection contre les chocs de ces bonbonnes en verre était assurée par une
sorte de housse en alfa tressé qui les enveloppait.

Nous
étions obligés d'acheter cette eau (venant de la source
du ravin Raz el Aïn) car celle du robinet commun situé
au fond du jardin, près des uniques toilettes (un simple
WC turc), était saumâtre (il faut savoir
qu'Oran n'a été alimentée en
eau douce qu'à partir de 1952 après la construction
du barrage de Béni-Bahdel et d'une conduite de 170 kilomètres
de longueur et de 1,10 mètre de diamètre). L'eau était ensuite transvasée
dans une jarre de terre cuite vernissée couverte d'un couvercle
en bois qui était placée dans le lieu le plus frais de l'appartement
: la cuisine.
J'y ajoutais quelques gouttes de teinture
d'iode pour éviter les maladies comme l'instituteur nous
l'avait recommandé. Avant chaque repas, ma
mère remplissait une carafe à l'aide d'une
louche en métal
comportant un bec verseur.
En été, elle installait
la gargoulette pleine d'eau, enveloppée d'un
linge humide, à l'ombre derrière les persiennes
entrebâillées. Le léger courant d'air circulant
entre les ventaux la refroidissait et nous avions ainsi
de l'eau fraîche pour la journée.
Nous
ajoutions dans nos verres quelques gouttes
d'Antésite ou bien une petite pincée
de coco de Calabre ce qui donnait
à l'eau un parfum de réglisse
et une fraîcheur toute particulière.
Je me rappelle que le coco se vendait soit
dans des boîtes métalliques
cylindriques d'une dizaine de centimètres
de hauteur, soit dans de petites boîtes
plates. Je trouvais que ces dernières
étaient très pratiques pour
déguster le coco en y trempant l'extrémité
d'un doigt mouillé de salive.
Jéjé
et les dessins à la craie
C’était aussi l’époque où je
découvrais, comme tous les enfants de mon âge, Blanche
neige et les 7 nains.
Je dessinais à la craie sur
le sol cimenté du large couloir d'entrée de la ferme, en compagnie de
Jérôme que j'appelais mon cousin,
(mais pour tous c'était Jéjé le fils de mes parrain
et marraine), Grincheux, Prof,
Timide, ou bien les autres personnages du film.
Nous avions, sans nous
vanter, un joli coup de craie.

La
bilocha de Pâques
Pour
Pâques nous allions, mon frère
cadet et moi, faire voler la
bilocha (déformation oranaise de l'espagnol
milocha ou birlocha, le cerf-volant), un barrilete (on
y voyait aussi des lunes et quelques bacalaos
qui ne volaient pourtant pas très bien) à
Protin, tout près de chez nous, car
il suffisait de traverser l'avenue Albert
1er pour y être. Nous nous retrouvions
aussi, accompagnés
de nos parents, à
la Perigoña, un terrain planté
d'immenses eucalyptus dont les feuilles
arquées tombaient en effectuant de
larges cercles en vol plané. J'ai retrouvé
sur l'excellent site de Tarambana, le petit-fils de
Mme Ascencio, la situation de la Perigoña :
« Par
le haut d’Eckmühl, plus loin que les arènes, en direction
des fours à chaux, dans les collines de la Périgonia.
Ces collines surplombent le ravin Ras el Aïn pour s’en
aller rejoindre les Planteurs et Santa Cruz à l’Est
d’Oran. La Périgonia c'est une mandorle (en forme d'amande)
de terres ocres de la longueur d'un terrain de football, comme
son voisin de Monréal, bordée de quelques pins dégingandés
surgissant d'un bosquet. »
Jean-Pierre
Sanchez raconte aussi ce lieu devenu presque mythique
: « la Périgonia, terme hispanisé ("oranisé, piédnoirdisé") du français polygone, comme les non-hispanisés désignaient ce terrain qui, en face des casernes du 2° zouave et du 63° régiment d'artillerie, leur servait de "polygone de tir". On pouvait voir à l'extrême est du terrain les tranchées et les butes de tir au pied des collines, traversées par le "ravin du figuier" qui menait à la ferme de la source Noiseux. Pendant la guerre, les Américains avaient occupé ces casernes et s'entraînaient au tir en face et nous, les gamins du quartier, on passait derrière pour ramasser les douilles et se faire engueuler par les parents parce qu'on ramenait parfois des cartouches entières. Au milieu du polygone,
nu, un bouquet d'eucalyptus fournissait une ombre appréciée par la musique du 2° zouave qui venait s'y entraîner accompagnée de son mouflon traditionnel. Un jour que je caressais la bête elle m'envoya un coup de corne sur la fesse et déchira mon pantalon.
A la pointe sud-est du terrain, en longeant les fours à chaux, on arrivait à un douar.
On grimpait la colline derrière et après une heure de marche on arrivait à
Bel Horizon avec vue sur Mers el Kebir. Au passage, le long d'un muret brise-feu, on ramassait, à la saison, des asperges sauvages.
Voilà ce que m'a rappelé cette
histoire de bilocha et de Périgonia où, moi aussi, j'allais faire voler mon "barrilete" quand je n'allais pas à Protin. »
Je
construisais moi-même mon barrilete
avec des roseaux coupés par le milieu
sur toute leur longueur en prenant la précaution
de les choisir robustes pour résister
à la force du vent. J'achetais
les feuilles de papier transparent de couleurs
différentes chez Mme Ascencio, l'épicière
de la réplacette d'Eckmühl (la
place Noiseux) ainsi que deux ou trois pelotes
de fil qui devait être solide et léger
pour ne pas avoir une trop grande comba
(la flèche, la courbure que fait le fil, une fois la
bilocha en vol). Un peu de farine délayée
dans l'eau faisait office de colle. Je confectionnais
aussi de jolies ailes, des franges collées
autour de la bilocha et qui devaient "froufrouter"
dans le vent. Au milieu du cerf-volant,
je collais un cœur de papier rouge qui se
voyait de loin.
Une
fois construit, des essais étaient
nécessaires pour s'assurer que les
tirants (les 3 fils qui tenaient le barrilete
et permettaient de le guider) formaient
un triangle bien tendu. Il fallait aussi
régler la longueur de la queue constituée
de vieux chiffons que je nouais entre eux.
En
mars ou avril, le vent était souvent
de la fête et il suffisait de tenir
son cerf-volant à bout de bras pour
qu'il prenne de l'altitude. Mais il arrivait
certaines années que le calme plat
vienne nous contrarier. Mon frère
était alors mis à contribution.
Il prenait le cerf-volant par le croisillon
des roseaux et s'éloignait d'une
cinquantaine de mètres en le tenant
le plus haut possible. À mon signal, il
lâchait le barrilete et je m'élançais
à toute vitesse.
Las
! La bilocha s'élevait puis retombait
lorsque moi-même, le cœur battant
sous l'effort, je m'arrêtais pour
prendre un peu de repos. Il nous fallait
recommencer plusieurs fois avant qu'un souffle
de vent un peu plus soutenu ne vienne emporter
notre voilier multicolore et froufroutant
jusque très haut dans le ciel sous
les cris de joie de tous les participants.
Lorsque
la bilocha tirait sur son fil, les filles
et les garçons, alternativement,
lui envoyaient des télégrammes.
Cela consistait à écrire un
mot, tenu secret, sur un petit bout de papier
fendu et percé d'un trou en son centre.
Le télégramme, une fois rédigé,
était placé sur le fil du
cerf-volant et le vent l'entraînait
jusqu'aux tirants dans l'allégresse
générale. Lorsque le cerf-volant
était ramené à terre,
nous lisions les messages dans l'ordre de
leur envoi. Ils formaient quelquefois
des phrases pleines de promesses pour l'avenir,
du genre "Je t'aime", "Mon amour"
ou bien "Je t'attends
ce soir", "À la vie, à
la mort".
Des
garnements, certains les traitaient
de galapiats ou de vauriens, mettaient
de l'ambiance dans tout ce petit monde joyeux
en coupant le fil de la bilocha tout en
lançant leur terrible cri de guerre
"¡ Corta hilo!" ("Coupe fil
!"). C'était
le désastre, les petits et les grands,
je faisais partie des petits, se démenaient
comme de beaux diables dans toutes les directions.
La panique s'était installée
et même les parents s'en mêlaient.
Les noms d'oiseaux fusaient "¡ Que
mala semilla esos bordes!", "¡ Corre a segar rábanos,
granuja!", "¡ Alcahuete, chuchumeco,
mala sombra, sin vergüenza!"
Moi,
je courais à toutes jambes après
mon barrilete qui s'échappait au
loin entraînant son fil et tous les
télégrammes encore non lus.
Enfin, j'arrivais à le récupérer,
quelquefois dans un triste état.
Malgré
ces péripéties et peut-être
à cause d'elles nous rentrions chez
nous, à la fin de la journée,
heureux d'être ensemble, le cerf-volant
sur le dos, tenu d'une main par la queue
enroulée sur elle-même et de
l'autre, par la pelote de fil enroulé
également mais autour d'un roseau.
Les
jeunes abbés et le "pita ferro"
À
cette époque, c'était dans
les années 1946-49, les jeunes curés,
prêtres et abbés déambulaient,
par groupe de quatre ou cinq, dans les rues
d'Eckmühl ou d'autres quartiers pour
faire connaissance avec la population et
maintenir le contact avec les jeunes.
Il
faut dire qu'ils portaient soutane, col
blanc et tonsure sans aucun complexe. Ils assumaient
ainsi leur condition d'ecclésiastiques sans
se poser de question et l'affichaient dans
la vie de tous les jours.
Or,
à la vue des soutanes, les mêmes
chenapans qui coupaient le fil des cerfs-volants,
se regroupaient en petites bandes pour harceler
ces jeunes curés, en hurlant "Pita
ferro ! Pita ferro !".
Tout en criant ces mots et en dévalant
les rues, ils essayaient, cela faisait partie
du rite du "pita ferro",
de siffler en faisant un pont avec leurs
mains, doigts écartés et en
portant le pouce de la main droite aux lèvres
et l'auriculaire de la main gauche au métal
de la boucle en fer de leur ceinture ou
de tout autre objet métallique comme,
par exemple, les descentes en fonte des
eaux pluviales.
Les
braves curés, qui connaissaient cette
coutume mais, on peut s'en douter, ne l'appréciaient
guère, relevaient le bas de leur
soutane
et se lançaient à la poursuite
de ces jeunes polissons ou plutôt
faisaient mine de courir après eux.
Cela occasionnait une débandade générale
des sauvageons qui, tenaces, revenaient
à la charge dès que la contre-attaque
ecclésiastique s'essoufflait un tant
soit peu. Cela
donnait des mouvements en accordéon
sur l'avenue Albert 1er et les rues transversales,
notamment sur la rue Benamou. Enfin, le groupe de
prêtres, lassé de ce petit
jeu, poursuivait son chemin comme si rien
ne s'était passé, en quête
de paroissiens plus respectueux de leur
soutane.
Les jeunes anticléricaux
se dispersaient à leur tour et tout
retombait dans la morne existence de tous
les jours.
Le
petit peuple du quartier, derrière les carreaux des fenêtres
ou des portes, avait assisté à un spectacle
de rue comme il n'y en avait qu'à Eckmühl.
Le bon vieux faubourg riait de ses propres contradictions
qui le portaient, quoique d'origine espagnole et par
là-même fervent chrétien, à houspiller
parfois les représentants et gardiens de
sa foi.
Pour
satisfaire son désir de fête, il n'avait
plus qu'à attendre la toute proche procession
du Sacré-Cœur ou bien le passage du bœuf chamarré
guidé par l'Arabe quémandant en musique
quelques piécettes de monnaie pour faire tomber la
pluie et mettre ainsi fin à la sécheresse climatique.
La
réplacette
L'école
d'Eckmühl donnait sur la place Noiseux, que nous appelions "la réplacette". Au centre de la place se
trouvaient le kiosque à musique (certains
sites pieds-noirs parlent d'un jet d'eau. Ma mémoire
me tromperait-elle ?) et face à
la rue Général Nansouty, sur le trottoir, une fontaine
assez majestueuse où le facteur, à grandes
lampées, éclaircissait le vin rouge, presque
noir, qu'il venait d'acheter à l'épicerie
de Mme Ascencio toute proche, à l'angle
de la rue l'Allement, à côté du bureau de
police.
Je m'y rendais, moi aussi
très
souvent, à la sortie de l'école, pour
acheter les délicieux piroulis (pirulí
en espagnol), sucettes tronconiques effilées enveloppées de cellophane, et les torraicos (torrados en espagnol),
des pois chiches grillés qui nécessitaient
d'avoir de bonnes dents tant ils étaient durs
à croquer. C'est là que je me procurais
les indispensables feuilles de papier transparent
de différentes couleurs qui
servaient à couvrir mes cahiers et
mes livres de classe ainsi que
tout ce qui était nécessaire pour la construction d'une
"bilocha" lorsque les fêtes de Pâques approchaient.
L’épicerie
de Madame Ascencio
C'était une vraie
caverne d’Ali Baba que l'épicerie de Madame
Ascencio. Une quantité
impressionnante de produits s'étalait
sur une toute petite
surface. On y voyait sur l'étal les
bocaux de bonbons, de sucettes et des fameux
piroulis. En entrant, à droite, s'alignaient
plusieurs sacs de jute contenant soit les lentilles,
soit les haricots secs ou bien les pois
cassés que je détestais tant.
Juste à côté, sur son
berceau, se trouvait
le baril métallique d'huile d’olive
et tout au coin le fût de vin rouge,
presque noir, qui faisait les délices
du facteur d'Eckmühl et de bien d'autres
amateurs. Dans chaque sac,
à même le tas de comestible,
une sorte de pelle aux bords recourbés
permettait de servir les clients. Au fond,
sur des
étagères étaient rangés
les produits les plus divers sous conditionnement
verre ou en boîtes métalliques comme
par exemple le lait sucré "Nestlé".
Ma mère y
perçait deux fentes diamétralement opposées
sur le couvercle de la boîte et elle
soufflait dans l'un des trous pour que le
lait, assez dense et plutôt sirupeux,
puisse s'écouler. Vers la fin de
son utilisation, le couvercle était
découpé à l'ouvre-boîte pour
utiliser les dernières gouttes qui
restaient encore tout au fond.
Durant
la deuxième guerre mondiale, ce lait était
rationné et les familles ayant des enfants, c’était
le cas de la nôtre, recevaient un bon de la mairie
indiquant la quantité autorisée de boîtes
de lait. Maman présentait ce document à Madame Ascencio
qui, tout sourire, lui délivrait alors la précieuse
marchandise.
Lors
de la fournitures des marchandises, l'épicière
« testait »
la pesée des denrées en appuyant le petit
doigt sur le plateau de la balance. Elle ajoutait ou
retirait alors la quantité voulue sans se tromper.
La
boulangerie de Monsieur Roca
À
l'angle de la rue d'Auerstaedt
et de la réplacette, se trouvait la boulangerie Roca. Pendant
la guerre de 1939-45, le
pain était rationné. De temps
à autre, pour avoir un supplément,
ma mère présentait sur
le comptoir un billet de banque à
demi caché par la paume de sa main.
Le plus innocemment du monde M. Roca prenait
un pain et le glissait dans le couffin
de ma mère par-dessous le comptoir.
À Pâques,
après la Libération, M. Roca faisait cuire gracieusement
dans son
four les mounas confectionnées par les gens du quartier.

L'école communale d'Eckmühl. À droite, la majestueuse fontaine et au fond la porte de la "tienda" (l'épicerie)
de Mme Ascencio.

L'école vue sous un autre angle.

La replacette. Au fond, l’épicerie de Mme Ascencio.
À droite, le bureau de police.
La place Noiseux (la réplacette), sa fontaine et l'école
communale d'Eckmühl
À
gauche, derrière le personnage
qui se trouve près de l'arbre, un
gamin semble-t-il,
on distingue la rue Général
Nansouty qui conduit à l'église
du Sacré-Coeur d'Eckmühl et
au patronage Don Bosco des pères
salésiens. Je l'ai fréquenté
dès l'âge de 8 ans jusqu'à 11
ans. Je rentrais alors en 6ème
au collège Ardaillon et je quittais
Eckmühl pour habiter notre maison
de la Cité Petit.
À
l'extrême gauche, une personne
à demi cachée, tire de l'eau de la fontaine
qui, elle, est bien visible (c'est
peut-être le facteur, pris en
flagrant délit, qui éclaircit
son vin rouge !).

Le
kiosque à musique ne figure
pas sur la photographie. Il
a certainement été construit
plus tard. Il était cependant
là en 1945 (certains sites oranais
évoquant la réplacette parlent plutôt d'un jet
d'eau). Un
clocheton surmonte l'horloge
qui marque, au vu de l'ombre
projetée au sol, 20 heures 15.
C'est l'été et il fait encore
jour. Les
arbres, des micocouliers ou
des ficus, donnaient des fruits
en forme d'olive charnue sans
noyau et les élèves en sortant
de classe se bombardaient avec ces
boulettes,
soit à mains nues, soit avec
le stack (deux gros élastiques tendus,
attachés à une extrémité à un
manche en olivier en forme de
"Y" et à l'autre à
une bande de cuir dans laquelle
on logeait le projectile).
C'était,
bien sûr, plutôt dangereux.

1948-49
- Promenade
avenue d'Oujda
Mon
frère Raymond, qui n'a pas l'air ravi, entre maman Angèle en
manteau blanc
et maman, une veste sombre jetée sur ses
épaules.
Sur
le mur, le cinéma Plaza fait la publicité
du film réalisé par Gilles Grangier
"Histoire de chanter" avec Carette,
Noël Roquevert, Arlette Méry,
Robert Arnoux et Luis Mariano dans
le rôle principal.
En
survolé, l'affiche du film.
|
L'histoire de
la Sainte Famille que me racontait maman pour expliquer
le petit "o" du noyau de datte
Cuando
era pequeño, mi madre me contaba la historia de la Sagrada
Familia huyendo delante de los secuaces de Pilato. La Virgen
pidió a un romero: "O romero, abre tus ramas para
escondernos". El romero abrió sus ramas y escondió
la Sagrada Familia. Pero cuando los jinetes se acercaban,
los abrió para descubrirlos. La Virgen, huyendo de nuevo, le
dijo: "Serás tan amargo como lo estoy ahora".
Y es desde entonces que las hojas del romero son muy
amargas.
Un
poco más lejos, la Virgen pidió a una palmera: "O
palmera, abre tus ramas para escondernos". Y la
palmera abrió sus ramas y escondió la Sagrada Familia. Y
los jinetes pasaron delante de la palmera sin verlos.
Y desde ese tiempo, para recompensar a la palmera, el núcleo del
dátil lleva una pequeña "o" en una de sus caras:
¡
La "O" de la Virgen! (1) |
Photographie
aérienne d'Eckmühl et des arènes
J'habitais
là, près du grand palmier (le cercle blanc
et la flèche) Avenue Albert 1er dans une ferme dont
les locaux avaient été aménagés en habitations. Au
loin, dans la brume, se profile la montagne
des lions. Ma femme travaillait en face des
arènes aux "Cafés du Brésil",
une société qui torréfiait et commercialisait
le café. Je l'attendais en Vespa à la sortie de son
travail. Elle qui
n'aimait pas le café, et ne l'aime
toujours pas, elle était servie ! La société
concurrente était les "Cafés
Nizière" qui avait pour logo
un lion assis.
On remarque très
bien la patte d'oie que forme l'avenue Albert
1er et l'avenue d'Oujda. Un peu plus loin,
la maison de 8 étages (1) qui était connue sous
ce nom et qui est restée pendant longtemps l'immeuble
le plus
haut d'Oran. Elle domine le ravin
Raz-el-Aïn, en contrebas à gauche. Ce quartier d'Eckmühl s'appelait "le
tir au pistolet".
C'est
là qu'une voiture et ses occupants, des Européens, a
été incendiée. À l'aide
de longues tiges, les incendiaires, grimaçants
de joie, coinçaient les portières empêchant les occupants
de sortir. Un acte de barbarie inimaginable et d'une rare inhumanité.
_____________________
(1) Construite
par M. Girona, entrepreneur en bâtiments (source : Jean-Pierre
Sanchez).

Cliquez
sur la photo ci-dessus pour afficher "Le Grand
Plan d'Oran de 1951"
On
voit sur
l'avenue d'Oujda, le trolleybus à l'arrêt du terminus
de la ligne n° 7 qui desservait Eckmühl.
On y aperçoit, sur la gauche, les traces
de pneus qu'il laissait, en effectuant
le virage pour rejoindre la station. Quand je fréquentais
le collège Ardaillon, je me rendais, à pied,
à cet arrêt pour prendre le trolleybus qui me conduisait
au centre-ville.
Quelquefois, dans un virage,
l'une des deux perches dérapait du câble
électrique sur lequel elle glissait un instant auparavant, et le trolleybus s'arrêtait faute
d'alimentation en électricité. Le chauffeur descendait alors du véhicule
et replaçait
l'extrémité de la perche sur le câble en manipulant avec
dextérité la
corde attachée à la perche.
Après les cours, pour retourner
chez moi à la Cité Petit, je refaisais le
même parcours, toujours à pied, en longeant
la caserne des tirailleurs puis en coupant
par le terrain de sport de la base militaire.
Il fallait soulever les rangées de fils
de fer barbelés en faisant bien attention
de ne pas s'y accrocher. À la sortie, côté
rue Eugène Delacroix, les mêmes précautions
étaient à prendre.
Un
tout jeune enfant musulman, en jouant près
de la clôture du stade, s'était
enfoncé dans le ventre un barbelé.
Il hurlait de douleur. Je courais avertir
ma mère qui décrocha l'enfant
des barbelés et le soigna. Elle avertit
les parents et leur conseilla d'aller voir
le médecin pour une piqûre
antitétanique. Rien ne fut fait et
l'enfant continua de se porter à
merveille.
Je n'ai jamais vu un
militaire sur ce stade, il n'était occupé
que par nous, les jeunes du quartier, qui
jouions au ballon ou qui dénichions, sans
leur faire le moindre mal, les gerboises
qui y proliféraient. C'est un petit animal
aux longues pattes arrières qu'il utilise
à la façon d'un kangourou. Sa longue queue
terminée par un toupet de poils sert
de balancier. Il se déplace par sauts rapides
en zigzag déconcertant ainsi ses éventuels
prédateurs.
Los
terremotos (les tremblements de terre)
Les
tremblements de terre étaient relativement
fréquents en Algérie. Je
me rappelle de cette époque qui m'a particulièrement
marqué : j'étais en classe de
sixième et je devais sauter
par dessus la faille créée par un séisme, place Karguentha,
pour me rendre au collège Ardaillon par les boulevards
Sebastopol et Paul Doumer. Six ans plus
tard, celui d'Orléansville
des 9 et 10 septembre 1954 fut d'une grande
gravité avec ses 1500 morts. Ceux qui croyaient
aux présages y ont vu l'annonce des événements
d'Algérie qui ont débuté un mois et demi
plus tard par l'assassinat
du caïd Hadj Sadok et du jeune instituteur Guy Monnerot
le 1er
novembre 1954 (la Toussaint rouge). Mme
Monnerot fut blessée dans cet attentat mais
elle survécut à ses blessures.
Cet hiver-là,
manifestation météorologique rarissime,
Oran était sous la neige.
Le
fatalisme arabe ne dit-il pas
"Mektoub !
C'est écrit !"
Les "mariposas" de la Toussaint
Pour
les fêtes de la Toussaint et des défunts,
ma mère préparait les Mariposas.
C’était de petites veilleuses constituées
d’un disque en liège de
quinze millimètres de diamètre environ avec une mèche
au milieu. Sur la boîte
de ces veilleuses était porté la marque "Mariposa"
("Papillon" en français).
Elle remplissait un bol d'huile
constituant le carburant, y posait quatre veilleuses, une en mémoire de son père, une autre
pour Mamá Cecilia (après son décès)
et deux autres pour les deux enfants qu'elle avait perdus.
Puis elle allumait les mèches.
Les
Mariposas brûlaient jour et nuit jusqu’à
ce qu’il n’y ait plus d’huile.
Le
jour des morts, le 2 novembre, maman préparait
les lits de très bonne heure. Elle changeait
les draps et mettait des couvertures propres et repassées.
Elle nous interdisait formellement de nous coucher ou
même de nous asseoir sur le bord du lit pendant
toute la journée. Elle disait que les morts de
la famille venaient se reposer et qu'il fallait donc
les laisser en paix et ne pas les troubler en cette
journée de fête des défunts.

|

|
Sur
une caisse en bois.
Sous
la surveillance de maman.
|
Au
cours d'un pique-nique.
Jéjé
me porte avec peine.
|

Au
cours du même pique-nique avec maman, mes parrain et
marraine.

|
L'ancienne
ferme de l'avenue Albert 1er.
Mes
parents me tiennent
dans leurs bras. Nous habitions
la maison que l'on aperçoit
au fond. Ma mère tient dans
sa main gauche un hochet qu'elle
agite pour me faire rire. J'ai
l'impression que ça n'a aucun
effet. À droite, le magnifique
citronnier aux fruits ensoleillés.
|

|
Renée,
Jéjé et moi. Renée
et son frère Alain habitait l'appartement dont on aperçoit l'ombre.
Cet appartement avait deux sorties, l'une qui donnait
sur la cour de la ferme, la plus utilisée,
l'autre directement sur l'avenue Albert
1er par un long corridor. D'autres voisins,
les Garcia avaient également cette double
possibilité. Je
n'ai pas de photo de Jacqueline Garcia qui
était plus jeune que moi et qui avait
pris la mauvaise habitude de me mordre.
|

Je
suis photograpié devant la ferme
comme une vedette
Ça
y est, je marche tout seul ! Et je tiens une balle dans les
bras ! Quel exploit !
On aperçoit la porte entrebâillée
de l'appartement de mes parrain
et marraine. Les
volets de la porte se retiraient
pour avoir plus de clarté (on voit les deux
poignées métalliques qui servaient
à les manipuler facilement).
Ce
système était courant, la porte
de la chambre de ma grand-mère comportait également
des volets amovibles.
Le
trottoir est fait de pavés qui
s'arrêtent à la limite de la
ferme. Plus loin, la terre battue
borde un terrain vague clôturé
de planches vermoulues. Sur
la photo de droite,
mon parrain en pyjama-pantoufles et ma marraine qui
me tiennent par les bras.
Durant
la guerre de 1939-45, lorsque la
sirène d'alerte ululait dans
la nuit, ma
mère me réveillait pour aller
nous
réfugier chez ma marraine. Les
deux femmes posaient alors le
matelas en laine sur la table
en chêne et nous nous accroupissions
dessous pour nous protéger
des bombardements. La porte
d'entrée restait ouverte permettant
ainsi au souffle des déflagrations
qui se succédaient de s'échapper.
J'ai donc pu apercevoir un petit chien, affolé par les
explosions, s'enfuir
sur l'avenue Albert 1er, la
queue entre les pattes.
La mairie construisit plus
tard
un abri souterrain à l'angle
de l'avenue et de
la rue Marie Feuillet (face à la rue
Benamou). L'entrée
était maçonnée mais le reste de
ce boyau d'une cinquantaine
de mètres de profondeur s'enfonçait
en pente douce dans la terre
sans être étayé. Qu'une bombe
frappe
l'entrée et nous étions tous enterrés vivants.
Le
cimetière
Tamashouet avait été bombardé
(pour quelle raison ?) et,
d'après ma marraine,
des ossements furent projetés
sur les branches
des arbres. Les pétainistes
rendaient les
américains responsables de ces méfaits
alors que d'autres accusaient
les allemands.
Mes parents étaient de l'avis
des seconds, Pétain étant indésirable
chez nous. Il faut dire que
le soir venu, toutes lumières
éteintes et l'oreille collée
au poste de TSF, ils écoutaient, en
les commentant à voix basse, les
messages codés, brouillés par
l'ennemi, que diffusait radio
Londres.
|

Dans
la cour de la ferme en hiver.

|
Mon
terrain de jeux : avenue Albert 1er, devant
la ferme
Je
jouais au bord du trottoir en faisant naviguer
une coque de noix sur le flot de la rigole
en me prenant pour un pirate de l’île
de la Tortue. D'autres fois, je faisais
courir deux sauterelles, retenues par un fil à
la patte arrière. Elles portaient un numéro
au cou inscrit par les services compétents
de l'Etat afin de définir
les migrations de ces terribles et dévastateurs
insectes.
Je m’amusais avec trois fois rien
tout en veillant sur mes petites pensionnaires
que je retenais
dans un bocal : deux minuscules grenouilles vertes tombées
du ciel avec la dernière pluie.
Mais
pour l'heure, j'ai quatre ans et mon gâteau
d'anniversaire, avec ses quatre bougies,
attend d’être partagé à
la fenêtre de l'appartement de mes parrain et marraine.
|
La
famille Benattar
En face de la ferme, habitait la
famille Benattar dont le fils était
plus âgé
que moi de quelques années. Sur la photo,
je pose devant le portail de leur maison.
J'ai
rendu visite à un médecin de Montpellier
qui porte le même nom que ces personnes
dans l'espoir de retrouver la trace de mes voisins
d'autrefois. En vain.
Madame Nadal
Plus bas sur l'avenue, habitait
Madame Nadal, une personne qui excitait
ma curiosité. Elle portait toujours
des lunettes aux verres foncés et fermées
sur les côtés. J'ai appris
beaucoup plus tard qu'elle était
borgne et cachait ainsi son handicap
qu'elle vivait comme une insoutenable disgrâce.
Le
chanteur de "Cielito lindo"
Je
venais à peine de traverser l'avenue Albert
1er et de m'engager sur le chemin de Protin
quand j'aperçois, venant à ma rencontre,
un arabe en abaya blanche(1) qui chante à tue-tête
"Cielito lindo", une chanson espagnole
que ma mère entonnait et qui
est restée dans ma mémoire : "Ese lunar
que tienes junto a la boca no se lo des
a nadie, cielito lindo, que a mí me
toca. ¡ Ay, ay, ay, ay! Canta y no llores porque
cantando se alegran, cielito lindo, los
corazones"(2). Que les arabes d'Oran
connaissent l'espagnol n'était pas une surprise
pour moi mais chanter "Cielito lindo"
c'était extrêmement émouvant et j'en garde
un souvenir... étincelant.
_____________________
(1) Abaya : vêtement
d'été fait de toile blanche. Ample et léger, il recouvre le corps jusqu'aux
pieds.
(2) Ce grain de beauté
que tu as près de ta bouche ne le donne à personne, joli petit ciel, car il me
revient (il est pour moi, il m'appartient). Aïe, aïe, aïe, aïe ! Chante et ne pleure pas parce qu'en chantant, joli petit
ciel, les cœurs se remplissent de joie.
|

L'Ecole Normale
de filles d'Eckmühl
À
l'embranchement des deux avenues d'Oujda et
Albert 1er, à l'angle de l'avenue Albert 1er et de l'avenue
du Docteur Cauquil (renvoi 43 du plan ci-dessous), dans un écrin verdoyant aux
arbres centenaires, se dressait l'Ecole Normale de
filles dont
on peut admirer la pureté des lignes sur cette photographie
(photo internet).
|
Plan
d'Eckmühl

Cliquer
sur le plan pour l'agrandir et voir les lignes 7 et
17
Nota
: Le renvoi 43 figurant en haut à droite
sur le plan indique l'Ecole
Normale de filles (voir la photo ci-dessus).
Le terminus des
lignes n°7 et 17 du trolleybus se trouve un peu plus
loin, en allant vers les arènes sur l'avenue
d'Oujda, un pâté de maisons après l'avenue
du Docteur Cauquil (voir, plus haut, la
photo des arènes).
J'ai
fait toutes mes études primaires à l'école
d'Eckmühl (le point orange sur le plan) depuis l'asile
(en 1835, la France met en place les
salles d'asile qui deviennent dès 1881 les actuelles
écoles maternelles)
jusqu'au CM2. Je me souviens du jour de
l'Armistice, le mardi 8 mai 1945, les cloches
de l'église du Sacré-Cœur, toute proche, sonnaient à toute
volée et le directeur de l'école avait laissé
sortir les élèves avant la fin des cours
et c'est dans les cris de joie que je dévalais
à toutes jambes la rue du Docteur Pauly, longeais
le magasin de Patricio, le marchand de tissus en
coupons,
pour embrasser mes parents qui étaient ce
jour-là, comme souvent, chez ma tante Conception,
au café "Chez François".
J'ai ensuite
effectué mes études secondaires
au collège Ardaillon puis j'ai été admis
à l'ENPA (Ecole Nationale Professionnelle
de l'Air) du Cap Matifou près
d'Alger et enfin, à Paris, à l'ENST (Ecole
Nationale Supérieure des Télécoms).
Pour
en revenir à Patricio, le marchand
de tissus, il avait débuté,
au marché d’Eckmühl, dans la
vente de mouchoirs et de chaussettes
qu’il suspendait à un fil tiré
entre deux montants d’un étal de
fortune. Sa réussite dans ce commerce
est fulgurante. Il fait confiance à
ses clientes en leur faisant crédit
et reprend les articles vendus qui, après
réflexion, n'ont pas plu. Le succès
de cette formule de vente est tel qu'il
monte, en peu de temps, son magasin
de la rue du Docteur Pauly et c'est là
que sa destinée
tragique va se réaliser. Il meurt asphyxié avec sa femme
dans l'incendie de son échoppe causé
par la dinde qu'il avait mis à cuire
pour les fêtes de Noêl. C'est
la sœur de Patricio, Dorotea, qui découvrit,
le lendemain matin, les corps dans un nuage
de fumée âcre qui s'échappait
par la porte. Les malheureuses victimes laissaient un fils, Juanico,
et une fille, un peu plus jeune, dont le
nom m'échappe.
Jean-Pierre
Sanchez, un oranais d'Eckmühl, voisin des Patricio, apporte
de précieux renseignements sur leur décès (lire
son courriel dans le "Livre d'or") :
"La
maison où j'habitais se composait d'une cour en
longueur bordée de trois appartements à droite
comme à gauche. Les deux logements droite-gauche étaient
couverts par une terrasse transformée par M. Patricio
en appartement pour lui lorsqu'il acheta cette maison
dans les années 50. De plus, il installa son fils Juanito
dans un appartement à droite et sa fille Lolita, mariée
à Enrique, dans le logement en entrant à gauche. Lors
des préparatifs de Noël, un matin, les "Patricio"
ne se manifestant pas malgré l'heure avancée, Enrique
monta les chercher et dut défoncer la porte alerté par
l'odeur de gaz pour découvrir que la couple était décédé,
asphyxié par le gaz. Le tuyau du gaz de la cuisinière
avait lâché pendant la nuit. Je ne me souviens pas s'il
y avait de la fumée ou pas, j'étais pourtant au pied
de l'escalier, alerté par le bruit et les cris de Enrique
et Lolita."
Mamá
Tita, Papá Tito et Manuel de
los Reyes,
mon grand-père maternel
Francisca
Pujante Gonzalez, mariée à
Francisco López Diaz (photo
du milieu) que je
n'ai pas connu étant
décédé
avant ma naissance. Mais pour toute
la famille, mon grand-père
paternel
c'est Papá
Tito et
ma grand-mère
Mamá
Tita. Ils habitaient Eckmühl, avenue
du Colonel
Ben Daoud.
Au décès
de mon grand-père,
Mamá Tita
est venue
vivre avec sa
fille Conception, la sœur de mon père.
J'ai appris le décès
de ma tante par mon cousin,
deux ans après sa mort,
en octobre 2002. J'ai éprouvé
une grande
peine de ne pas l'avoir su à
temps. Elle était
née à
Sainte-Barbe-du-Tlélat,
petite ville située à
28 km au sud-est d'Oran. Elle
est enterrée à
Colomiers près de Toulouse.
À
droite, mon grand-père
maternel, Manuel de los Reyes
Cruz Miras né le 12 août 1882 à Olula del
Rio en Espagne
que je
n'ai pas connu. Il est décédé
à l'âge de 33 ou 34 ans
des suites d'une chute d'un
figuier, sa tempe ayant heurté
une pierre. Ma mère avait 7 ans.
|

À
la ferme.
Ma mère, Maman Angèle, Renée
J. la fille de nos voisins,
moi même, Alain J. et mon frère cadet. À
gauche, Isabel que nous
appelions "la Sinforosa".
Elle a perdu la tête à cause
d'une brouille
entre nos deux familles
(lire les détails
de la brouille ci-dessous).
Ma
mère montre, avec fierté,
une grappe de raisin.
Le soleil est aveuglant, nous
clignons tous des yeux sauf
la Sinforosa, bien sûr, qui
n'en a plus.
|
Quand
nous habitions la villa que mon père avait
fait bâtir à la Cité Petit, nous passions par Brunie et
Protin
pour rendre visite à Maman Angèle (1), ma grand-mère maternelle, qui
habitait rue
Benamou (le point rouge sue le plan d'Eckmühl
ci-dessus localise son appartement
entre l'avenue Albert 1er et la rue d'Auerstaedt
qui débouche sur la place Noiseux) où elle faisait
de la couture à la machine Singer électrique,
un must pour l'époque ! Le point noir sur
le plan
indique la ferme
où j'ai vécu jusqu'à l'âge de 11 ans, je
rentrais alors au collège Ardaillon.
____________
(1)
Maria Angelle Querol Gabarrón née le 10
juin 1890 à Alger, 25 rue Bab-el-Oued.
Décédée à Marseille le 20 mai 1969. Ses
parents : Domingo Querol Sanchez
et
Francisca Petra Gabarrón Rodriguez.
|
La
brouille avec Isabel, "la Sinforosa"
Tonico,
le frère de ma marraine,
vivait avec sa mère, Mémé
Garcia, dans l'appartement qui se trouvait
dans le prolongement du
nôtre (à gauche,
sur la photo ci-dessus). Au décès de
cette dernière, Tonico se
sentit trop seul et décida de prendre
femme. Il épousa Isabel, une parfaite inconnue
pour tous les habitants de la ferme. Elle
n'était donc pas en odeur de sainteté
et les enfants que nous étions, mon
frère et moi, s'en rendaient bien
compte. Un jour que ma mère s'était
absentée pour quelques courses, mon
père étant à sa forge
de la Marine (il était ouvrier forgeron
à la Compagnie de Dragages et d'Entreprises
Maritimes), nous avions décidé
d'embêter Isabel. Prudent tout de
même, j'envoyais mon frère
cadet aux avant-postes de combat. Il devait
gesticuler et tirer la langue face à
Isabel. Cette dernière ne goûtant
pas ces facéties le menaça : "¡
Te voy a dar un puntapié
en el culo, verás tú!".
Pour parer à cette éventualité,
j'assujettissais le couvercle en aluminium
du faitout sur l'arrière-train de
mon frère protégeant ainsi
son postérieur de tout "puntapié".
Je le renvoyais plusieurs fois devant notre
voisine
protégeant, au fur et à mesure
des besoins, les parties du corps que cette
dernière menaçait.
Isabel
en eut assez de ce jeu qui durait un peu
trop longtemps à son goût
et lança un seau d'eau sur mon
frère, qui se transforma
aussitôt en gladiateur trempé de la tête
aux pieds.
La
confrontation prit fin. Mais Isabel n'avait gagné
que la première manche car au retour
de ma mère, elle reçut de
sa part le même seau d'eau. Il y avait égalité,
un seau partout,
et les deux parties se retirèrent
dans leurs appartements pour se sécher.
Depuis
ce jour, Isabel fut pour nous "la Sinforosa"
et ma mère la décapita sur
les photos.
Les
voleurs de poules et de lapins
Mes
parents élevaient des
poules et des lapins dans notre
courette. Les jours de fête,
pour améliorer l'ordinaire,
mon père tuait un lapin
d’un coup du tranchant de la
main derrière les oreilles.
Ma mère, moins forte,
s'aidait du pilon du mortier.
Elle suspendait ensuite le lapin par
les pattes arrières et, avec un
couteau très effilé,
lui retirait un œil pour permettre
au sang de s'écouler. Une
fois dépecé, la
peau était salée
et séchée au soleil.
Quant au lapin, il mijotait
doucement dans la cocotte en
fonte sur le kanoun.
Une
nuit, mes parents sont réveillés
par du bruit. Mon père,
derrière les jalousies
de la fenêtre de la chambre, interpelle
mon parrain qui s'était
également réveillé
: "¿
Auguste,
as visto algo?
En français "Auguste, as-tu
vu quelque chose ?" À la réponse négative
de mon parrain, les échanges
de renseignements se poursuivent
de part et d’autre du jardin.
Le lendemain, plus
de lapins ni de poules. Des
poules que maman soignait quand
elles avaient la pépie
(on disait la "pépite",
de l’espagnol "pepita")
en enlevant avec la lame d'un
couteau la membrane fibreuse
qui recouvrait leur langue et
leur donnait un bain d'eau froide
quand elles étaient "lluecas"
pendant la période
où elles voulaient couver.
Ce vol était un désastre pour la maisonnée.
Ma mère porte plainte
auprès du commissariat
de police d'Eckmühl et quelques jours
plus tard les malfrats sont arrêtés.
Un policier vient lui présenter
les deux voleurs. "¡
Qué
lástima!", (Quelle
pitié !)
s'exclame-t-elle
en apercevant ces jeunes délinquants
menottes aux poignets. Le policier,
qui comprenait et parlait l'espagnol, lui
réplique alors : "Por
suerte
no salió de la casa, eran armados de pistolas
y no hubieran vacilado a hacer fuego."
(1)
_________________
(1) Heureusement
vous n'êtes pas sortie
de la maison, ils étaient
armés de revolvers et n'auraient
pas hésité
à faire feu".
L'agneau
Mon
père avait abattu un
agneau pour notre consommation
et ma mère voulait
récupérer la peau
pour en faire une descente de
lit. Pour réaliser son
vœu, mon père et mon
oncle Raphaël ont introduit
de l’air sous la peau de l’animal,
avec une pompe à bicyclette,
par une fente qu’ils avaient
faite à l'extrémité
d'une patte. La peau
a gonflé comme une baudruche.
Il ne restait plus qu’à
la découper soigneusement.
Astucieux, non !
Tendero,
l'homme à la jambe en
bois
Tendero,
c'était son nom, travaillait
à la Compagnie
de Dragages et d'Entreprises
Maritimes où il exerçait
le métier de "barrenero"(1).
C'était un métier des plus dangereux,
l’explosion d’une mine lui ayant
coûté sa jambe gauche. C’était un
homme encore jeune, la quarantaine,
et il
avait remplacé cette
jambe manquante par une autre
en bois terminée par
un gros patin en caoutchouc
noir.
Reconverti
dans le petit commerce, il se
mit en quête d'une femme
qui puisse l'aider dans son
nouveau métier. Il s'enticha
de Maman Angèle, ma grand-mère
maternelle, qu'il venait voir
très souvent lui offrant les produits
de son épicerie. Mais ma grand-mère,
assez rebelle,
ne l'entendait pas de cette
oreille et le lui montrait
tout en acceptant ses visites
et ses présents qui
flattaient son amour propre de
femme.
Lassé
d'être si
peu accepté, Tendero
se maria avec Anica
la concierge de l'immeuble de
couleur rouge qui
se trouvait à l'angle
de la rue Albert 1er et du terrain vague menant
à Protin et, en faisant quelques
pas de plus, aboutissait à Brunie. Elle était
veuve et avait une gentille
fille d'une douzaine d'années
et, entre ces
deux femmes, il vécut
heureux le restant de ses jours.
Maman
Angèle se désolait
de ce qu'elle considérait
comme une trahison et dans les moments de déprime
les plus durs menaçait
de se jeter
sous les roues du tramway qui
passait à quelques dizaines
de mètres de là, reliant le faubourg d'Eckmühl
au centre-ville. Elle ne concrétisa
pas ses menaces et, le temps
aidant, se consola tant
bien que mal de la perte de
la présence prévenante
de cet homme qu'elle avait tellement
rabroué et repoussé.
No se sabe lo que se tiene hasta que se pierde
(2).
_________________
(1)
Barrenero : foreur de
mines.
Le forage des mines s'effectuait
à la main à l'aide d'une "barrena"
(barre à mine),
barre d'acier très
lourde terminée par un trépan. Le "barrenero"
soulevait cet outil et le laissait
retomber plusieurs fois de suite tout
en le faisant pivoter selon son axe
vertical de façon à créer un trou circulaire
de la profondeur souhaitée.
(2) On ne tient jamais tant
à quelqu’un que lorsqu’il
vient à nous manquer.
Papa
cordonnier
Pendant
la guerre et les quelques années qui l'ont
suivie, mon père, toujours ingénieux, s'improvisait
cordonnier de toute la famille. Il avait
forgé à cette fin un outil dont l’une des
deux extrémités avait l’aspect et la taille
d’un pied d’enfant et l’autre celle d’un
adulte.
Installé
sur une chaise, la double patte en métal
fermement tenue entre ses cuisses, d’un geste assuré, il introduisait
le soulier dans la forme en fer et arrachait
la semelle usagée à l'aide de tenailles.
Il ajustait ensuite
la pièce caoutchoutée de rechapage à la chaussure.
Provenant
de vieux pneus des surplus américains, la
pièce de rechapage comportait une toile
entre deux couches de caoutchouc vulcanisé,
lui conférant ainsi une plus grande rigidité
et une bien meilleure résistance à l’usure.
Puis,
il remplissait sa bouche de petits clous
à tête plate dont quelques-uns apparaissaient
entre ses lèvres serrées. Le marteau adéquat
tantôt dans la main droite, tantôt dans
la gauche suivant les besoins (papa était
ambidextre et manipulait ses outils de forge
aussi bien d'une main que de l'autre), il
prenait les clous et les piquait dans le
caoutchouc, les uns après les autres, d’un
geste vigoureux et précis. Il ne lui restait
plus qu'à les marteler jusqu’à ce qu’ils
se recourbent et s'écrasent contre le plat
du pied métallique.
Une
fois complètement fixée, papa arasait cette
semelle toute neuve avec une lame d’acier
effilée et extrêmement coupante. En passant
la main à l’intérieur de la chaussure, il
s’assurait que les pointes avaient bien
été chassées et ne pouvaient blesser la
plante du pied. Remise à neuf, la chaussure
était soigneusement rangée. Mon père pouvait
alors passer à un autre soulier.
C’était
une époque où rien ne se jetait. Tout pouvait
resservir moyennant travail et habileté.
Le
champ de "manrrubio"
Toujours
dans ces années de guerre et d’après guerre,
la visite au médecin n’était pas une opération
banale. Cela coûtait cher et pour les petits
bobos comme un "refriado" (refroidissement,
rhume en espagnol d’Oran), il était plus
avantageux de recourir aux remèdes de bonne
femme.
On
accédait au quartier Protin en traversant
l’avenue Albert 1er et en empruntant un
chemin de terre qui contournait l’immeuble rouge
faisant face à l’école communale. Ce
même immeuble dont la concierge, Anica,
c’était mariée à Tendero, l’amoureux transi
éconduit par ma grand-mère qui le
regretta tellement par la suite.
Là,
derrière l'immeuble, un grand champ de "manrrubio"
(1) exhalait ses senteurs
médicinales. Maman m’y emmenait pour y faire
pipi et ainsi soigner toux, rhumes et autres refroidissements.
D’après elle, en effet, lorsque l’on faisait
pipi à plusieurs reprises au milieu d’un
parterre de "manrrubio", n’importe quelle
maladie des bronches disparaissait comme
par enchantement.
Quand
je me blessais légèrement, maman invoquait
sainte Anne, la mère de Marie : "Cura,
cura, santa Ana. Tira el gato por la ventana"
(2). Je me sentais aussitôt
beaucoup mieux. Je fais de même
avec mon petit-fils et le résultat est
identique ! Extraordinaire, non ?
Et
lorsque
je me faisais "un chichón" (3)
à la
tête, pour le réduire, maman appliquait sur
le "chichote" (4) une
pièce de monnaie maintenue
par une bande de gaze. Et
ça marchait !
_________________
(1)
"Manrrubio" : déformation
oranaise de l'espagnol "marrubio".
Marrube, en français.
(2)
"Soigne, soigne, sainte Anne. Jette le chat
par la fenêtre"
(3) et
(4)
Un chichón : une bosse. Maman disait
"un chichote", mot ne figurant
pas dans le dictionnaire d'espagnol mais
que j'utilise ici comme elle le faisait.
Las ventosas
(les ventouses) et la lavativa (le lavement)
En plus du
"manrrubio", maman utilisait la pose de "ventosas" en verres dont elle
réchauffait l'intérieur avec un coton imbibé d'alcool qu'elle enflammait. Une
fois le coton éteint, maman appliquait la "ventosa" sur le dos du malade
dans un geste sûr et rapide. Aspirée par la ventouse, la peau gonflait et il
suffisait de cinq ou six minutes pour la faire rougir. Maman appliquait alors
un doigt tout près du bord de la ventouse pour y faire entrer de l'air frais.
La ventouse se "décollait" du dos en y laissant une empreinte
brunâtre qui persistait quelques jours. Cela donnait d'excellents résultats
pour les cas de maladies pulmonaires.
De
temps à autre, maman préparait aussi la
"lavativa" pour un lavement des
intestins. Cela ne se passait pas sans pleurs
ni récriminations.
Le
bleu de méthylène
Un
peu avant l'entrée de l'hiver, maman procédait
au badigeonnage de gorge à l'aide d'un bâtonnet
dont l'extrémité était enveloppée de coton
trempé dans une solution antiseptique appelée
"Bleu de méthylène". Il fallait
ouvrir la bouche toute grande et, en une
ou deux secondes, d'un geste circulaire
et rapide, maman nous avait traités, mon
frère et moi, contre les maux de gorge pour
la période hivernale. Cela ne se passait
pas sans pleurs, même si l'opération était
tout à fait indolore !
Les
maux de dents et la petite voiture rouge
Autre
pratique de ces temps anciens, où les remèdes
de bonne femme se substituaient volontiers
à la consultation du médecin par manque
de moyens, était le rinçage de bouche avec
sa propre urine.
Je
me souviens d’avoir eu une rage de dents et maman, fidèle à ses croyances
qui donnaient souvent de très
bons résultats, me fit uriner dans un verre
et rincer la bouche avec ce
breuvage encore tout chaud. Les
douleurs se sont estompées mais j’ai dû
tout de même rendre visite à la dentiste
d’Eckmühl pour extraire les chicots noircis
par la carie.
Je me rappelle avec nostalgie
qu’une voiture métallique à pédales de couleur
rouge se trouvait dans le spacieux couloir
de son appartement, juste derrière la porte
d’entrée.
Plus tard, adulte, j'ai acheté
à mon fils une voiture identique avec le
numéro 3 peint sur fond blanc, réalisant
ainsi mon rêve d’enfant. Plus tard encore, j'ai offert à ma petite fille une autre
voiture rouge dont la carrosserie était
malheureusement en plastique.
La modernité
était passée par là !
La
banane, le garçon affamé et
le vieillard aveugle
J’avais
8 ou 9 ans. C’était juste
après la guerre, pendant
l’été de 1946
ou 47. Ma mère et moi
revenions de Choupot, un quartier voisin
d’Eckmühl. Les douze coups
de midi avaient résonné
depuis quelque temps déjà
et, prévenante, maman
m'avait acheté une banane
chez le marchand de primeurs
du coin. Je commençais
à la déguster
quand un vieil arabe aveugle
s’appuyant sur l'épaule
d’un jeune garçon à
peu près de mon âge
nous arrête pour demander
l’aumône : "Jatra
Moulana, madame !"
La plupart du
temps un "Arbi djib !" (Dieu
te l'apporte !) ou bien "mahandich"
(je n'ai pas, je n'ai rien à
te donner) renvoyait le mendiant. Pourtant,
cette fois-là, ma mère, saisie de pitié,
fouille dans son porte-monnaie à la recherche
d'une piécette.
Je remarque alors le regard
ardent que le jeune garçon
pose sur le fruit que je tiens
dans ma main. Dans un mouvement
machinal, sans y penser vraiment,
je lui tends la banane à
demi consommée. Maman
s’aperçoit de mon geste
et tout en donnant son obole
au vieillard, essaie de récupérer,
dans une tentative désespérée,
la banane des mains du garçon
qui, vraisemblablement affamé,
l'ingurgite tout aussitôt.
Le
prix d’une banane devait compter
dans un budget familial étriqué !
Mamá
criada (Maman domestique)
Mi madre era todavía una niña, tenía unos 7 o 8 años, cuando
sus padres la colocaron en una familia judía española como criada. La
dueña, muy económica, escondía su dinero entre las sábanas, bajo el colchón u otros escondites como se hacía en esos tiempos. Porque los bancos no tenían
su confianza. Un día hubo un robo. Una cierta cantidad de dinero había desaparecido.
Sospechosa, la dueña
interroga a mi madre que responde negativamente. Entonces,
la patrona tuvo esta reflexión en voz alta: ¡ Aquellos qué hicieron esto, no son
ladrones, son "robones"!
Al día siguiente, una vecina, sorprendida de la actitud gastosa del hijo de la familia, vino contar el caso a la dueña que se dio a enfrentar los hechos:
el ladrón era su propio hijo. Tuvo entonces estas palabras
tranquilizadoras a la dirección del cerco familiar y de mi madre: ¡ No
es un robo, es una mala idea!
Así como
que la actitud difiere según que se trata de un extranjero o bien de un miembro de la familia.
(1)
_________________
(1)
Ma mère était encore une enfant, elle avait
7 ou 8 ans, lorsque ses parents l'ont
placée dans une famille juive espagnole
comme bonne. La patronne, très économe,
cachait son argent entre les draps, sous
le matelas ou utilisait d'autres cachettes
comme cela se faisait autrefois. Car les
banques n'avaient pas sa confiance. Un jour
il y eut un vol. Une certaine somme d'argent
avait disparu. Soupçonneuse, la patronne
interroge ma mère qui répond négativement.
La patronne eut alors cette réflexion
à haute voix : Ceux qui firent cela, ne
sont pas des voleurs mais des "robones"
(de "robar" qui signifie "voler").
Le
lendemain, une voisine, étonnée de l'attitude
dépensière du fils de la famille, vint raconter
l'affaire à la patronne qui due se rendre
à l'évidence : le voleur était son propre
fils.
Elle eut alors ces paroles apaisantes à
l'adresse de l'entourage familial et de
ma mère : C'e n'est pas un vol, c'est une
mauvaise idée !
Comme
quoi l'attitude diffère selon qu'il s'agisse
d'un étranger ou bien d'un membre de la
famille.
Les
histoires espagnoles de maman
Quand j’avais
un peu de peine à me lever le matin, maman me récitait parfois, tout en
m'habillant, un court poème espagnol mêlé d’argot. J’étais trop petit pour en
deviner le sens caché mais cela avait le don de me faire rire. Après avoir
longuement hésité, je me décide à rapporter ici cette strophe car elle est en
espagnol argotique et donc plutôt difficile à traduire en français. Je pense
qu'il est temps que ces quelques mots laissent une trace. Les voici tels
que maman me les récitait :
Levántate,
cornibeo.
Ponte
los carabitates y también
los chirimildes
Que
ha venido prende las ratas,
se ha llenado de clarencia
Si
no te levantas con paciencia,
te se queman los betates.
Lève-toi,
porteur de cornes.
Enfile
ton futal et tes autres
frusques
Car
celui qui attrape les souris
est venu, il a pris feu
Si
tu ne te lève pas pour prendre
de l'eau, tes "betates" vont
brûler.
|
Voici
l'une
de ces histoires pleines de compassion
mettant en scène une jeune fille, simple d’esprit, qui
se rendait à l’église pour prier la Vierge
avec sa traduction en
français. Candidement, elle lui disait :
María,
Mariota,
Cara
de calabazota,
María,
Marión,
Cara
de calabazón.
|
Marie,
Mariote,
Visage
de petite courge,
Marie,
Marion,
Visage
de grosse courge.
|
Le
curé qui écoutait lui dit un jour qu’il
fallait prier la Vierge en récitant l’Ave
Maria. Ce que fit la jeune fille. Mais elle
reprit très vite ses anciennes habitudes.
Le prêtre lui en fit aussitôt la remarque.
Elle lui répondit : "¡ Cuando rezo
con mis palabras, la cara de la Virgen
me sonríe pero se queda de mármol con su
oración!"(1).
Une autre histoire que me racontait ma mère pour me faire la leçon mettait
en scène un jeune garçon à qui sa maman demande d'aller chercher du bois
pour faire du feu et cuire le repas de midi : "¡ Perico, ves a por leña!". Et
Perico, pas du tout serviable, de répondre qu'il a mal à la jambe :
"¡ Ay, que me duele la pata!". Sa maman se dévoue alors pour chercher
du bois pendant que son fils continue de s'amuser dans la cour tout en faisant
semblant de claudiquer.
Dans l'après-midi, à
l'heure du goûter, sa maman l'interpelle pour
qu'il vienne à table : "¡ Perico, ven almorzar!" et Perico d'accourir
en disant pour sa défense qu'il n'avait plus mal ni à la jambe ni nulle part :
"¡ Ya no me duele la pata ni nada!" s'écriait-il.
Cela me faisait rire mais ne m'empêchait pas d'agir comme
Perico lorsqu'une corvée menaçait de me tomber dessus.
Origine du nom de
saint Christophe, Cristóbal en espagnol
Dans
la nuit noire, un tout petit enfant appelle
le passeur qui se trouve dans une cabane
sur l'autre rive d’une rivière. Le jeune
garçon lui demande s’il peut le faire traverser.
Le passeur, un colosse, se rend près de
lui et en le prenant sur ses épaules,
dans un grand éclat de rire, lui confit
qu’il passe les animaux les plus lourds
en les portant sur son dos.
S’aidant
de sa gayata,(2) un énorme bâton,
il entame la traversée du rio. Au milieu
du cours d'eau ses jambes commencent à fléchir.
Il ne peut plus avancer. Il a peur de se
noyer avec l'enfant et dans une ardente
prière, demande de l’aide à Jésus ignorant
qu’il le tient sur son épaule : "¡ Cristo váleme!"(3). Puis, s’adressant
à l’enfant : "Lo que pesas niño
para estar tan pequeño. Que los dos padeceremos
en el corriente de este rio soberbio"(4).
L’enfant
tenant dans sa main gauche la boule du monde
lui répond en reprenant les deux premiers
mots de sa supplique: "¡ Cristóbal,
ese es tu nombre!"(5). Et
c’est ainsi que le simple passeur a été
baptisé Cristóbal et que saint Christophe
a supporté le poids du monde sur ses épaules
pendant quelques instants.
Quevedo,
le fou du roi
La
reine d’Espagne boitait légèrement mais
personne n’aurait osé lui faire une remarque
sur cette infirmité de naissance. Quevedo,
le bouffon du roi, se faisait fort de le
lui dire devant toute la cour. Les paris
étaient lancés et le lendemain, à l’arrivée
de la reine, Quevedo, un plateau jonché
de fleurs à la main, s’avance et mettant
un genou à terre, dit à la reine : "¡
Su Majestad escoja!". Ce qui veut
dire : "Que Votre Majesté choisisse !"
mais les parieurs comprirent immédiatement
que Quevedo avait gagné son pari car il
avait dit "¡ Su Majestad es coja!", c'est à dire "Votre Majesté est boiteuse
!". De la subtilité de l’espagnol !
Querelle
d'enfants
Mes
petits-enfants se chamaillaient à table
comme souvent et en gesticulant le plus
jeune fait mal à sa sœur qui aussitôt se
plaint en me montrant son bras qui était,
selon elle, sévèrement touché. Je regarde
et je ne distingue rien. Cela me rappelle
la fable que ma mère me contait pour me
rassurer lorsque, enfant, je me faisais
un bobo. J'en profite pour à mon tour utiliser
cette histoire du jeune garçon, soi-disant
mordu par un chien, appelant à l'aide sa
maman qui constate : "No hay ni agujero
ni herida"(6) et l'enfant de lui répondre
: "Será que no me mordería"(7).
Le calme est revenu à table mais pour peu
de temps.
_________________
(1)
"Quand je prie avec mes mots, le visage
de la Vierge me sourit alors qu’il reste
de marbre avec votre prière !"
(2)
La gayata
désigne
une houlette, une canne, une crosse, un bâton
pour la marche.
(3)
"¡ Cristo váleme!" : "Christ,
rend moi fort !"
(4)
"Ce que tu pèses, enfant, pour être
si petit. Car nous allons périr dans le
courant de cette superbe (ou orgueilleuse
ou encore tumultueuse) rivière."
(5)
"¡
Cristóbal, ese es tu nombre!" : "Christophe,
c'est ton nom !"
(6)
"Je
ne vois ni trou ni blessure".
(7)
"Il
ne me mordait peut-être pas".
|
|
_________________
(1)
Quand j'étais petit, ma mère me racontait l'histoire
de la Sainte Famille fuyant devant les sbires de Pilate.
La Vierge demanda à un romarin de les cacher : "Ô,
romarin ouvre tes branches pour nous cacher". Le
romarin ouvrit ses branches et cacha la Sainte Famille.
Mais lorsque les cavaliers s'approchèrent, il les rouvrit
pour les faire découvrir. La Vierge, fuyant de nouveau,
lui dit : "Tu seras aussi amer que je le suis actuellement".
Et c'est depuis cela que les feuilles de romarin sont
très amères.
Un
peu plus loin, la Vierge demanda à un palmier de les
cacher : "Ô palmier, ouvre tes branches pour nous
cacher". Et le palmier ouvrit ses branches et cacha
la Sainte Famille. Et les cavaliers passèrent devant le
palmier sans les voir.
Et
depuis ce temps-là, pour récompenser le palmier, le
noyau de la datte porte un petit "o" sur l'une
de ses faces. Le "Ô" de la Vierge !
Vous
pourrez vérifier par vous même lorsque vous dégusterez
une datte. Et vous montrerez, comme je le fais moi même, le "o" à vos
petits-enfants en rapportant cette histoire, si le cœur
vous en dit.
Otra
historia de mamá. La historia del lobo hambriento, que
se quedó así y fue alcanzado por un rayo (1)
El
lobo despertó de buena mañana, con el estómago vacío.
Estiró
la pata derecha de delante que hizo "clic"
y luego la izquierda que hizo un nuevo "clic".
A
continuación, pasó a cada una de las patas traseras
emitiendo un "clic", característica que el
lobo se llevó a los inicios de un día propicio en el
que lo haría fiesta.
"Ah,
tengo un día hermoso y muy bueno delante de mí", pensó
el lobo.
A
lo largo del camino se encuentra con una yegua y su
potro.
"¿
Hola Sr. Lobo, a donde vas de ese paso?", se exclamó
la yegua.
El
lobo, muy educado, respondió: "Hola Señora Yegua,
tengo tanta hambre que te comeré y también tu potro".
"Ah,
Sr. Lobo, suplicó la yegua, tengo una puncha plantada
en el casco de mi pata trasera que me hace sufrir terriblemente. ¿ Si pudieras eliminarla
antes de comerme, sería perfecto?"
El
lobo, lleno de compasión, tomó la pata que le
presentaba la yegua. Cuando notó que no había puncha, la yegua
le lanzó una jarraba (2) que envió al lobo a cinco o seis
metros de distancia. La yegua y el potro huyeron al
galope mientras el lobo, dolorido por todas partes,
recuperaba. Estiro otra vez sus patas y puso a prueba
por el estiramiento.
Las
patas hicieron un "clic". "Ah, dijo el
lobo, el día será mejor".
Siguiendo
su camino, se encuentra con una cerda y sus cerditos.
La
cerda, temblando de miedo, se inclinó y le preguntó
qué estaba haciendo.
"Tengo
mucha hambre, dijo el lobo, yo te voy a comer, a ti
y a tus cerditos".
"Ah,
Sr. Lobo, mis hijos no están bautizados. Si los comes
ahora no van a ir al cielo. Hay aquí un arroyo pequeño.
¿ Podrías bautizarlos antes de comerlos?"
El
lobo se compadeció de los cerditos, los tomó por las
patas traseras para bautizarlos en el agua. Muy ocupado
con el bautismo, el lobo no presta atención a la cerda
que lo empuja violentamente al río. Mientras que la
bestia hambrienta, medio ahogada, está luchando para
recuperarse de su desventura, la cerda y sus cachorros
huyen para salvar su vida.
El
lobo resopla otra vez y estiró las patas que hicieron
"clic".
"Ah,
dijo la fiera, toda mohína, el día no ha terminado y
que sin duda será bueno".
Continuó
su camino y ve a la rama de un árbol, un mochuelo.
"¿
Hola, Sr. Lobo, a dónde vas así?", dijo el mochuelo.
El
lobo, muy hambriento, le contestó: "Tengo tanta
hambre que me voy hacer de ti mi almuerzo".
"Oh,
Sr. Lobo, me enteré de que cantas muy bien. ¿ Antes
de comerme, puedes cantarme una de tus coplas maravillosas.
Después moriré feliz ?"
El
lobo, siempre amable, empieza a gritar como hacen todos
los lobos "¡ Ouuuu, mochuelo comí!"
Mientras
que el lobo aúlla, el morro hacia el cielo, el mochuelo
se hecha a volar, contestándole: "A otro seria
que no a mí".
El
lobo se encuentra al final de la tarde con el estómago
siguiendo vacío. Se lamentó sentado debajo de un árbol:
"¿ Cirujano de punchas, bautista de marranos,
cantante de tonadas. Porqué no cae un rayo y que me
parte en dos?"
El
leñador que se había refugiado en el árbol cuando oyó
el aullido del lobo, deja caer su hacha y lo parte en
dos, tanto como el lobo lo había esperado unos momentos
antes.
________________
(1)
Une autre histoire de maman. L'histoire
du loup affamé, qui le resta et qui fut frappé par un éclair (*)
Le loup se réveilla
de bon matin, le ventre vide.
Il étira la patte
droite de devant qui fit "clic" puis la gauche et il y eut un nouveau
"clic".
Il passa ensuite
aux pattes arrières qui chacune émirent un "clic" caractéristique que
le loup prenait pour les prémices d'une journée faste au cours de laquelle il
ferait bombance.
"Ah
! Une belle
et bonne journée qui s'annonce pensa-t-il. Et il prit le chemin.
En cours de route
il rencontre une jument et son petit poulain.
"Bonjour
Monsieur le loup. Où allez-vous de ce pas ?" s'exclama la jument.
Le loup, très poli,
lui répond : "Bonjour Madame la jument, j'ai tellement faim que je vais
vous manger ainsi que votre poulain".
"Ah ! Monsieur
le loup, supplia la jument, j'ai une épine plantée dans le sabot de ma patte
arrière qui me fait
terriblement souffrir. Si vous pouviez me l'enlever avant de me manger, ce
serait parfait ?"
Le loup, plein de
compassion, pris le sabot arrière que la jument lui présentait. Au moment où il
constatait qu'il n'y avait aucune épine, la jument lui décoche une ruade qui l'envoie
rouler à cinq ou six mètres de là. La jument et son poulain s'enfuirent au
galop pendant que le loup, tout endolori, se remettait sur ses pattes qu'il
testa de nouveau en les étirant. Chacune émirent un petit "clic".
"Ah ! Se dit-il, la journée sera meilleure".
En poursuivant son
chemin, il rencontre une laie et ses nombreux petits cochons.
La laie, tremblante
de peur, salua le loup et lui demanda ce qu'il faisait.
"J'ai tellement
faim, répondit le loup, que je vais te manger, toi, et tes petits cochons".
"Ah ! Monsieur
le loup, mes petits ne sont pas baptisés. Si vous les mangez maintenant ils
n'iront pas au paradis. Il y a justement un petit cours d'eau ici. Pouvez-vous les
baptiser avant de les manger ?"
Le loup, saisi de
pitié pour les petits cochons, les prend par les pattes arrières et les trempe
dans l'eau.
Très
occupé par
le baptême des petits, le loup ne fait pas attention à la laie qui le pousse violemment
dans la rivière.
Pendant que la
bête affamée, à demi noyée, se remet difficilement de sa mésaventure, la laie et ses petits
en profitent pour fuir à toutes pattes.
Le loup s'ébroue et
de nouveau étire ses pattes qui firent "clic".
"Ah ! Se dit-il,
tout penaud, la journée n'est pas finie et elle sera certainement bonne".
Il poursuit son
chemin et aperçoit sur la branche d'un arbre, un hibou.
"Bonjour,
Monsieur le loup, où allez-vous comme cela ?", dit le hibou.
Le loup, très
affamé, lui répond : "J'ai tellement faim que je me contenterai de toi
pour mon déjeuner".
"Ô monsieur le
loup ! J'ai appris que vous chantiez très bien. Avant de me croquer,
pouvez-vous me chanter l'une de vos merveilleuses chansons. Je mourrai ainsi
satisfait".
Le loup, toujours
serviable, se met à hurler comme le font tous les loups :"Ouuuu, j'ai
mangé un hibou !"
Pendant que le loup
hurlait, le museau tourné vers le ciel, le hibou s'envole en lui répondant :
"C'était surement un autre mais pas moi !"
Le loup se retrouva
en fin de journée avec le ventre toujours vide. Il se lamentait en s'asseyant
sous un arbre : "Chirurgien d'épines, baptiseur de petits cochons,
chanteur de "tonadas". Pourquoi ne tombe-t-il pas un éclair et qu'il
me coupe en deux".
Le bucheron qui s'était
réfugié sur l'arbre en entendant le loup hurler, laissa tomber sa hache et
coupa le loup en deux comme ce dernier l'avait souhaité quelques instants
auparavant.
(2)
Jarraba : Je n'ai
pas retrouvé ce mot dans mon dictionnaire espagnol. Je rapporte cependant
l'histoire
du loup affamé telle que ma mère me la racontait et qui employait "jarraba"
pour
désigner une ruade. Elle utilisait aussi le mot "puncha" à la place
de "espina", ces deux mots désignant indifféremment une épine.
(*) La
hache du bucheron tomba sur le loup si soudainement
que l'on peut dire
qu'il fut frappé par un éclair (d'acier).
Au
patronage Don Bosco d'Eckmühl...
Depuis un
large passage qui borde les appartements des prêtres
et qui conduit à la chapelle mes petits camarades
de patro et moi-même avons rendu un vibrant
hommage en chantant un "Ce n'est
qu'un au revoir mon frère" à un
laïc âgé qui partait vraisemblablement en
maison de retraite. Je ne me
souviens plus de son nom mais il était surnommé affectueusement "l'œil rouge
de
Moscou" car il avait, parait-il, l'œil à tout.

|
Le
tourniquet du patro d'Eckmühl
Montage
de deux photos placées côte à côte. À droite : mon frère Raymond et moi.
Nous nous trouvons aussi sur le tourniquet
: mon frère, de dos, tend le bras,
moi, je suis de face au sommet du tourniquet.
C'est l'abbé Bill (ou M. Joseph) qui a pris
ces deux clichés juxtaposés par mes soins pour
montrer dans une même perspective les
habitations des prêtres, le préau et la
cour. Au fond, des enfants jouent au basket
devant la façade du cinéma-théâtre dont
on aperçoit le sommet du fronton au-dessus
des frondaisons.
|
D’une
fenêtre située
dans l’angle du bâtiment
que l'on voit à gauche de la photo,
l’abbé H. avait
tiré à la
carabine à plombs
sur un jeune chat. Des enfants,
en cercle autour du malheureux
animal, assistaient à
cette mise à mort.
Se rendant tout de même
compte que le chaton
souffrait, l’abbé
sortit de l'appartement
et appuyant le canon sur
la tête de la pauvre
bête mit
fin à ses souffrances.
La réalité
de l'époque n'était
pas meilleure que celle
d'aujourd'hui !
Un
jour, alors que je faisais
une confidence à
l’un de mes camarades du
patronage à propos
d'un jeune juif de mes amis
qui avait voulu se confesser,
sans en connaître
le rituel, l’abbé
H. craignant les racontars
sur son compte, me fait
appeler pour m'interroger
sur ce que je disais puis,
méfiant, interroge
également l'autre
garçon. Devant la
concordance des récits,
il repart satisfait. Un
vrai policier cet abbé !
...
avec les chansons, comptines et les jeux.
J’apprenais
des chansons avec l'abbé
Bill et M. Joseph,
par exemple pour la marche
: "Un kilomètre
à pied ça use, ça
use, un kilomètre
à pied ça use les
souliers" et ainsi
de suite avec deux puis
trois, quatre, cinq... kilomètres.
Ou bien : "Buvons un
coup ma serpette est perdue,
mais le manche, mais le
manche. Buvons un coup ma
serpette est perdue mais
le manche est revenu".
La chansonnette se poursuivait
en utilisant les voyelles
de l’alphabet "a, é,
i, o, u". La voyelle
"a" pour chanter
en allemand : "Bava
za qua ma sarpatte a parda
ma la macha, ma la macha.
Bava za qua ma sarpatte
a parda ma la macha a ravana".
La voyelle "i"
pour le chinois
: "Bivi zi qui mi sirpitte
i pirdi mi li michi, mi li
michi. Bivi zi qui mi sirpitte
i pirdi mi li michi i rivini".
La voyelle "é"
pour l’espagnol, "o"
pour le russe et "u"
pour l'anglais.
Il
n'est peut-être pas inutile de rapporter aussi le
jeu du béret que l'on plaçait au milieu d'un cercle
de joyeux garçons qui se le disputaient tout en faisant
très attention de ne pas se faire attraper par les autres
concurrents. Ou bien cet autre jeu où une corde tenait
la vedette permettant à deux équipes de forts gaillards
de s'affronter en tirant et s'arc-boutant sur ses extrémités
pour faire fléchir les adversaires et ainsi remporter
la victoire.
Leçon
de boxe à la ferme

De
gauche à droite : Moi-même à 9-10 ans, mon frère Raymond
à 7-8 ans et Alain 6-7 ans coupé par le milieu.
Les
gros gants d'entrainement de papa, de couleur rouge,
sont bien trop grands pour nous !
en
page 3 : Mamá
Cecilia et Maman Angèle. Le café "Chez François",
mes oncles, tantes, cousins et cousines. Les
petits métiers de l'époque. Récits pittoresques. Le
décès de mes parrain et marraine.
Les jeux des écoliers d'Eckmühl. Les amis dans
le malheur. Les chansons
de la noche buena que chantait maman.
|
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la
suite en page 3

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