Jean-Claude Forest (1931-1998)

 

 

"Je voudrais bien être quelque chose quand même et pourquoi ne pas le dire ? Allons, un peu de   courage, quelque part, quelqu'un !" (Jean-Claude Forest - 1975)

 

 

Mystérieuse matin, midi et soir se présente, par une espèce de fascination intellectuelle et émotive, comme un authentique chef d'œuvre, un livre déroutant, unique, aux limites de l'érudition et de l'ésotérisme. Comme un futur qui se serait déroulé dans le passé. Notre passé. Histoire passée connue.

 

L'émotion, la concision, les raccourcis, les cadrages, la fantaisie, l'intelligence, le merveilleux, le fantastique, l'imagination, les mystères, les catastrophes, l'humour et la tendresse, mélangez le tout, secouez et servez Mystérieuse matin, midi et soir.

 

 

 

Marie Mathématique, jeune fille de bonne famille du Paris de l'an 2830, créée spécialement pour l'émission "Dim Dam Dom" à la télévision (1966).

 

Les Cahiers de la bande dessinée a édité un numéro spécial (voir ci-dessous la couverture) qui reproduit plusieurs œuvres de Forest. Il publie également une longue et complète interview qui recouvre la totalité de la vie professionnelle du dessinateur.

Des textes et images de cette page sont tirés des Cahiers de la BD.

 

 

 

Le thème du dédoublement permet à Forest de donner libre cours à ses fantasmes. C'est, par exemple,  Bébé Cyanure et Gypsy-Yoko qui s'affrontent et s'assemblent pour son et notre plaisir.

 

 

 

 

"Le génie de Barbarella, c'est la satisfaction et de délirantes aventures de science-fiction qui engendrent un plaisir proche de ceux que donnent Jules Vernes ou Ray Bradbury".

 

Sur le tournage d'un film réalisé par Hal Hartley, dans une interview d'Isabelle Huppert, publié par Le Monde pendant l'été 1993, l'actrice glisse en confidence, en évoquant son rôle, "étant romancière, mon personnage se projette dans des situations romanesques et se voit en Barbarella".

Permanence du fantasme...

 

Lui donn'rais tout d'même pas l'Bon Dieu sans confession à c't'Hypocrite là !

 

 

 

Lire l'œuvre de Jean-Claude Forest au premier degré, c'est se priver d'une bonne dose de sa fraîcheur. Empreinte de toute une tradition narrative et fictionnelle, qui tire sa source aussi bien des légendes gréco-latines que des feuilletons populaires du XIXème siècle, elle est à part entière faite de clins d'œil et d'allusions. Dans sa dernière phase, elle fait même référence à ses débuts, citant de nombreux épisodes de son passé. Il va sans dire qu'un tel foisonnement d'ancien et de moderne, de réminiscences et de fantasmes, reste trop personnel pour se laisser dévoiler en quelques pages.

Forest est sans aucun doute l'auteur-dessinateur le plus original de cet univers pourtant fertile en imaginations qu'est la BD. Ses dialogues sont savoureusement parfumés d'expressions-trouvailles qui n'appartiennent qu'à lui. Son dessin possède une séduction particulière due à l'apparente spontanéité du trait, à son élégante vivacité. Il faut être un peu magicien pour parvenir ainsi à donner si joliment corps à ses fantasmes.

De plus, le monde intime de Forest se trouve être si varié qu'il serait ambitieux de vouloir le révéler sans précautions. Aussi je propose, plutôt que d'examiner, de découvrir ou redécouvrir, pour certain, l'œuvre de Forest au travers des quelques lignes qui suivent  et des reproductions de titres comme Barbarella, Hypocrite ou Mystérieuse matin, midi et soir.

Alors, allons-y ! Suivez-moi !

Jean-Claude Forest est né en 1931 à Le Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne). Dessinateur, scénariste, cinéaste, écrivain, décorateur...Il sait être aussi un personnage particulièrement intéressant.

Après divers travaux dans la presse à partir de 1948, il débute en 1951 dans Vaillant : "Pour la horde", "Le Copyrit", "Charlot". Durant les années 60 il réalise de nombreuses couvertures et illustrations de la revue Fiction et fournit en histoires divers journaux tels que Lisette (reprise de "Bicot"), Fillette, Mireille, Frimousse, etc...

Il est à l'origine de la création en 1962 du "Club des bandes dessinées" (revue Giff-Wiff), devenu par la suite le CELEG (Centre d'Etudes des Littératures d'Expression Graphique).

Au printemps 1962 "Les aventures de Barbarella", écrites et dessinées par un jeune homme dans le métier depuis l'âge de 16 ans, Jean-Claude Forest, commencent à être publiées dans une revue trimestrielle un peu légère, V Magazine, et cette publication du premier épisode de 64 pages, durera jusqu'à la fin 1963.

Et, côté mots, côté images, c'est la fête, c'est un peu d'air et c'est l'intelligence ! Et surtout l'humour ! Vadim en tirera ensuite un film célèbre. La presse s'enflamme pour la belle, car, en plus de l'intelligence, "Barbarella physiquement, c'est une sauvageonne sculpturale. Blonde, longue et animale comme Brigitte Bardot. D'une beauté farouche et invulnérable comme Ursula Andress. Mais lascive et impétueuse comme Jane Fonda ou Virna Lisi".

Barbarella est un volcan sentimental. C'est la première fois qu'un personnage de BD jette sa vertu par-dessus les moulins et succombe intégralement avec ardeur à ses coups de foudre.

Intronisé auteur "pour adultes", Jean-Claude Forest devient le chef de file de la vague érotique de la BD des années 60.

Cependant, la censure essaie d'étouffer le succès naissant de la nouvelle déesse mais le groupe d'amis du Club des bandes dessinées réagit vigoureusement et publie un communiqué vengeur intitulé "La censure barbare est là" et, derrière ce jeu de mots, ça sonne juste et dur : " La censure vient de frapper Barbarella parce qu'elle est femme, parce qu'elle est belle, et que vivant dans la science-fiction elle ignore l'hypocrisie ! L'incroyable rigueur qui frappe cet album inquiète autant que la mansuétude dont bénéficient le sadisme et le racisme lorsqu'ils s'exercent dans les bandes d'inspiration guerrières" et c'est signé, entre autres, Alain Resnais, le musicien de jazz Claude Luter et la magique Delphine Seyrig.

Dans la foulée, Forest crée "Marie-Mathématique" pour la télévision et "Bébé Cyanure" pour l'éphémère magazine Chouchou (illustré publié en 1963 chez Filipacchi et dont Forest était co-responsable avec Remo Forlani), puis "Hypocrite" Pour France-Soir. C'est avec cette dernière série qu'il entre à Pilote en 1972 tout en publiant dans Pif "Mystérieuse matin, midi et soir". Puis il réalise pour Paul Gillon le scénario des "Naufragés du temps" qui paraissent dans France-Soir.

Parallèlement, il mène une carrière de cinéaste. Après "Les poules bleues de l'automne" pour la télévision (dramatique de S.F. programmée le 31 décembre 1974 sur la première chaîne), il achève le tournage d'un long métrage "Le cœur gros".

Il nous a quitté en 1998 mais restera encore longtemps dans nos mémoires de bédéphiles.

Récit

Jean-Claude Forest

Dessin

Daniel Billon

Couleurs

Danielle Dubois

Lettrage

Isabelle Gautray

 

Bon ! Je vais pas discuter...J'ai intrigué, je l'avoue... J'ai fait du charme et des crochepattes, j'ai le corps rompu d'être corrompue, et mon âme a la couleur de mon œil qui est noir comme vous le savez...

Mais quoi ? J'allais pas rester sur la terre qu'est polluée askiparait ! Et tout ça pendant que mes copains allaient faire la ribouldingue sur Yolande...

 

 

  

 Charlot

Chevalier de la table ronde 

 

1951 - Pour la Horde, dans Vaillant

 

 

 

Hypocrite et le monstre du Loch Ness

 

C'est dans cette deuxième aventure d'Hypocrite que l'histoire prend son aspect le plus délirant. Plusieurs héros du premier épisode y jouent un rôle important, en particulier le vieux fantôme Lord Grumble et le spirituel Destin (aux sentences judicieuses) qui se fait plus ou moins le commentateur-narateur de l'action. Autre silhouette familière, issue de Mystérieuse, le capitaine Brise-Bise, du moins sont-ce ses traits que nous reconnaissons, car son identité reste paradoxale. Il s'annonce sous le nom de Big-Baffe, puis sous celui de capitaine Funéraille, avant d'être démasqué sous son véritable patronyme. D'autres héros de Mystérieuse reviennent à la fin de l'épisode et nous apprenons la suite de leur destinée. John Paragraph, le docteur Alizarine et son fidèle Polop sont maintenant au service de Yolande, la planète-zoo, mêlés en un phénomènal chaos, malmenés par la volonté d'un auteur qui se fait des clins d'œil à lui-même et à tous ceux qui suivent ses ouvrages.

Dans cet épisode figure une séquence exceptionnelle. Engendré par le Diable, un petit château, bébé fac-similé de  celui où vivent nos héros, pousse en plein milieu du salon, et se met à grandir, permettant bientôt à Hypocrite d'y pénétrer. Une fois à l'intérieur, elle rencontre les répliques exactes de ses amis qui la prennent pour Nessie (le monstre du Loch Ness). Elle finit par se trouver face à elle-même, face à ce minuscule reflet d'elle qui se met à l'auto-torturer, déclanchant un incendie que Nessie éteindra. Nous y voyons Hypocrite embrasser son reflet dans le miroir et plus loin les trois Hypocrite sont réunies dans une même image. Souligné à plusieurs reprise et avec humour par Forest, cet imbroglio entraîne une conception narrative entièrement neuve.

 

 

 

Forest, dans Comment décoder l'Etircopyh (Dargaud 1973) met en scène un Rhône endiablé, merveilleux Rhône marécageux et torrentiel, et utilise le pinceau de préférence à la plume ce qui donne au dessin un certain étouffement parfois esthétique mais pas toujours, il faut bien le reconnaître, surtout lorsque le texte noie et boit le reste de l'image.

 

Jean-Claude Forest y marque, plus que  dans ses autres œuvres peut-être, une prédilection avouée pour les monstres et les difformités. Comment décoder l'Etircopyh en est rempli : Freddy Fred, avec ses bras multiples est ses dents de scie, se transforme en vampire impitoyable et cruel. Les Sissibades, femmes géantes et jaunâtres, le Macherodus et le Mastérodon, surgis de la préhistoire, y cohabitent et s'affrontent.

 

    

         

une chanson de

      

jean-claude forest

 

 

 

 

 

 

 

 

Un autre que toi, un autre que moi...

 

Des portes de l'espace voici trouvée la clé

Qui pousse les battants démasque le prodige

La boule de cristal qui donne le vertige :

Celle que vous aimiez s'y cachait par milliers.

 

Celle que tu aimais s'y cachait par milliers.

 

Dans les ports de l'espace rêvent les hors la loi

Ils font avec le temps des boucles chimériques,

Et narguent les étoiles et l'amour impudique

Qui porte ton odeur et parle avec ta voix.

 

Qui porte mon odeur et parle avec ta voix.

 

Refrain

Ailleurs un autre toi

Sans doute un autre moi,

Sur une autre planète

A cet instant se couchent

Et leurs lèvres se touchent

Tout comme nous...

 

Aux temples de l'espace, on voit des gens obliques

Et prier les cristaux et les hommes lézards

Saigner le christ bleu aux quatorze regards

Et toi, ma belle encore, qui joue la vièrge unique.

 

Et moi, ta belle encore, qui joue la vièrge unique.

 

Aux jardins de l'espace, les lauriers sont rouillés,

Mon père donne à ton fils des cours de botanique ;

La sève est de mercure, mais toi, ma rose unique

Tu prends à mon pareil un peu de ma rosée.

 

Je prends à ton pareil un peu de ta rosée.

 

Dans le lit de l'espace où rêve ta réplique,

En calculant le prix de tant d'étoiles d'or,

Mon double incorigible s'approche de ton corps

Et viole ta douceur au charme vinylique.

 

Et viole ma douceur au charme vinylique.

 

Mais voici que l'espace est soudain dépeuplé

Car fuyant mon discours tu dors et tu t'éclipses

Un seul être vous manque et c'est l'apocalypse :

La femme que j'aimais est morte par milliers.

 

Celle que tu aimais est morte par milliers.

 

 Beaux vaisseaux de l'espace, il faudrait vous saborder

Colomb ne dites point que la grande Amérique

Qui ferme l'univers de l'autre est symétrique

Car les oeufs cuits debout sont durs à gober.

 

La forme de l'espace a perdu son mystère

Qui piégeait la grande ourse l'a tuée ce matin,

Mais Diane au clair de lune ou Diane au clair de terre

A l'éclair du couteau j'ai reconnus ta main.

 

 

J.C.F. 1972

 

  

 

 

Hypocrite

N'importe quoi de cheval

On y retrouve avec plaisir les héros des précédents albums : Hypocrite, bien sûr, Edmond Destin, Brise Bise, John Paragraph et un nouvel arrivant Patchwork mais aussi Gratte-patte, le schlon, l'argnelouche étoilé et les inspecteurs Mèche-molle et Lèche-mèche les chasseurs d'argnelouche étoilé.

On y découvre l'arbre à langues,  l'agraphe des bois à une côte, Nein Nein le pénitencier et la Nandoue dodue de Dhani, l'animal tout en or le plus rare et, bien sûr, le plus précieux de la création. Mais aussi et surtout, un jeu de cartes qui comporte en son sein une carte maîtresse, le lit de cœur,  ce qui, à l'évidence, favorise les rapprochements sur l'oreiller !

  

Petit panorama étoilé des affiches et couvertures de BD concernant Barbarella

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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