
Mystérieuse
matin, midi et soir se présente, par
une espèce de fascination intellectuelle
et émotive, comme un authentique chef d'œuvre,
un livre déroutant, unique, aux limites
de l'érudition et de l'ésotérisme. Comme
un futur qui se serait déroulé dans le passé.
Notre passé. Histoire passée connue.
L'émotion,
la concision, les raccourcis, les cadrages,
la fantaisie, l'intelligence, le merveilleux,
le fantastique, l'imagination, les mystères,
les catastrophes, l'humour et la tendresse,
mélangez le tout, secouez et servez Mystérieuse
matin, midi et soir.
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Marie
Mathématique, jeune fille de bonne famille du Paris
de l'an 2830, créée spécialement pour l'émission
"Dim Dam Dom" à la télévision (1966).
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Les
Cahiers de la bande dessinée a édité un
numéro spécial (voir ci-dessous la couverture)
qui reproduit plusieurs œuvres de Forest.
Il publie également une longue et complète
interview qui recouvre la totalité de la
vie professionnelle du dessinateur.
Des
textes et images de cette page sont tirés
des Cahiers de la BD.
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Le
thème du dédoublement permet à Forest de
donner libre cours à ses fantasmes. C'est,
par exemple, Bébé Cyanure et Gypsy-Yoko
qui s'affrontent et s'assemblent pour son
et notre plaisir.
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"Le
génie de Barbarella, c'est la satisfaction
et de délirantes aventures de science-fiction
qui engendrent un plaisir proche de ceux
que donnent Jules Vernes ou Ray Bradbury".
Sur
le tournage d'un film réalisé par Hal
Hartley, dans une interview d'Isabelle Huppert,
publié par Le Monde pendant l'été 1993,
l'actrice glisse en confidence, en évoquant
son rôle, "étant romancière, mon personnage
se projette dans des situations romanesques
et se voit en Barbarella".
Permanence
du fantasme...
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Lui
donn'rais tout d'même pas l'Bon Dieu sans confession à c't'Hypocrite
là !


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Lire
l'œuvre
de Jean-Claude Forest au premier degré, c'est se priver
d'une bonne dose de sa fraîcheur. Empreinte de toute
une tradition narrative et fictionnelle, qui tire sa
source aussi bien des légendes gréco-latines que des
feuilletons populaires du XIXème siècle, elle est à
part entière faite de clins d'œil et d'allusions. Dans
sa dernière phase, elle fait même référence à ses débuts,
citant de nombreux épisodes de son passé. Il va sans
dire qu'un tel foisonnement d'ancien et de moderne,
de réminiscences et de fantasmes, reste trop personnel
pour se laisser dévoiler en quelques pages.
Forest
est sans aucun doute l'auteur-dessinateur le plus original
de cet univers pourtant fertile en imaginations qu'est
la BD. Ses dialogues sont savoureusement parfumés d'expressions-trouvailles
qui n'appartiennent qu'à lui. Son dessin possède une
séduction particulière due à l'apparente spontanéité
du trait, à son élégante vivacité. Il faut être un peu
magicien pour parvenir ainsi à donner si joliment corps
à ses fantasmes.
De
plus, le monde intime de Forest se trouve être si varié
qu'il serait ambitieux de vouloir le révéler sans précautions.
Aussi je propose, plutôt que d'examiner, de découvrir
ou redécouvrir, pour certain, l'œuvre
de Forest au travers des quelques lignes qui suivent
et des reproductions de titres comme Barbarella,
Hypocrite ou Mystérieuse matin, midi et soir.
Alors,
allons-y ! Suivez-moi !
Jean-Claude
Forest est né en 1931 à Le Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne).
Dessinateur, scénariste, cinéaste, écrivain, décorateur...Il
sait être aussi un personnage particulièrement intéressant.
Après
divers travaux dans la presse à partir de 1948, il débute
en 1951 dans Vaillant : "Pour la horde", "Le
Copyrit", "Charlot". Durant les années
60 il réalise de nombreuses couvertures et illustrations
de la revue Fiction et fournit en histoires divers journaux
tels que Lisette (reprise de "Bicot"), Fillette,
Mireille, Frimousse, etc...
Il
est à l'origine de la création en 1962 du "Club
des bandes dessinées" (revue Giff-Wiff), devenu
par la suite le CELEG (Centre d'Etudes des Littératures
d'Expression Graphique).
Au
printemps 1962 "Les aventures de Barbarella",
écrites et dessinées par un jeune homme dans le métier
depuis l'âge de 16 ans, Jean-Claude Forest, commencent
à être publiées dans une revue trimestrielle un peu
légère, V Magazine, et cette publication du premier
épisode de 64 pages, durera jusqu'à la fin 1963.
Et,
côté mots, côté images, c'est la fête, c'est un peu
d'air et c'est l'intelligence ! Et surtout l'humour
! Vadim en
tirera ensuite un film célèbre. La presse s'enflamme
pour la belle, car, en plus de l'intelligence, "Barbarella
physiquement, c'est une sauvageonne sculpturale. Blonde,
longue et animale comme Brigitte Bardot. D'une beauté
farouche et invulnérable comme Ursula Andress. Mais
lascive et impétueuse comme Jane Fonda ou Virna Lisi".
Barbarella est un volcan sentimental. C'est la première
fois qu'un personnage de BD jette sa vertu par-dessus
les moulins et succombe intégralement avec ardeur à
ses coups de foudre.
Intronisé auteur "pour
adultes", Jean-Claude Forest devient le chef de
file de la vague érotique de la BD des années 60.
Cependant,
la censure essaie d'étouffer le succès naissant de la
nouvelle déesse mais le groupe d'amis du Club des bandes
dessinées réagit vigoureusement et publie
un communiqué vengeur intitulé "La censure barbare
est là" et, derrière ce jeu de mots, ça sonne juste
et dur : " La censure vient de frapper Barbarella
parce qu'elle est femme, parce qu'elle est belle, et
que vivant dans la science-fiction elle ignore l'hypocrisie
! L'incroyable rigueur qui frappe cet album inquiète
autant que la mansuétude dont bénéficient le sadisme
et le racisme lorsqu'ils s'exercent dans les bandes
d'inspiration guerrières" et c'est signé, entre
autres, Alain Resnais, le musicien de jazz Claude Luter
et la magique Delphine Seyrig.
Dans
la foulée, Forest crée "Marie-Mathématique" pour
la télévision et "Bébé Cyanure" pour l'éphémère
magazine Chouchou (illustré publié en 1963 chez Filipacchi
et dont Forest était co-responsable avec Remo Forlani),
puis "Hypocrite" Pour France-Soir.
C'est avec cette dernière série qu'il entre à Pilote
en 1972 tout en publiant dans Pif "Mystérieuse
matin, midi et soir". Puis il réalise pour Paul
Gillon le scénario des "Naufragés du temps"
qui paraissent dans France-Soir.
Parallèlement,
il mène une carrière de cinéaste. Après "Les poules
bleues de l'automne" pour la télévision (dramatique
de S.F. programmée le 31 décembre 1974 sur la première
chaîne), il achève
le tournage d'un long métrage "Le cœur gros".
Il
nous a quitté en 1998 mais restera encore longtemps
dans nos mémoires de bédéphiles.

Récit
Jean-Claude
Forest
Dessin
Daniel
Billon
Couleurs
Danielle
Dubois
Lettrage
Isabelle
Gautray
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Bon
! Je vais pas discuter...J'ai intrigué,
je l'avoue... J'ai fait du charme et des
crochepattes, j'ai le corps rompu d'être
corrompue, et mon âme a la couleur de mon
œil qui est noir comme vous le savez...
Mais
quoi ? J'allais pas rester sur la terre
qu'est polluée askiparait ! Et tout ça pendant
que mes copains allaient faire la ribouldingue
sur Yolande...

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Charlot
Chevalier de la table ronde

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1951
- Pour la Horde, dans Vaillant


Hypocrite
et le monstre du Loch Ness
C'est
dans cette deuxième aventure d'Hypocrite que l'histoire
prend son aspect le plus délirant. Plusieurs héros du
premier épisode y jouent un rôle important, en particulier
le vieux fantôme Lord Grumble et le spirituel Destin
(aux sentences judicieuses) qui se fait plus ou moins
le commentateur-narateur de l'action. Autre silhouette
familière, issue de Mystérieuse, le capitaine Brise-Bise,
du moins sont-ce ses traits que nous reconnaissons,
car son identité reste paradoxale. Il s'annonce sous
le nom de Big-Baffe, puis sous celui de capitaine Funéraille,
avant d'être démasqué sous son véritable patronyme.
D'autres héros de Mystérieuse reviennent à la fin de
l'épisode et nous apprenons la suite de leur destinée.
John Paragraph, le docteur Alizarine et son fidèle Polop
sont maintenant au service de Yolande, la planète-zoo,
mêlés en un phénomènal chaos, malmenés par la volonté
d'un auteur qui se fait des clins d'œil à lui-même
et à tous ceux qui suivent ses ouvrages.
Dans
cet épisode figure une séquence exceptionnelle. Engendré
par le Diable, un petit château, bébé fac-similé de celui où vivent nos héros, pousse en plein milieu
du salon, et se met à grandir, permettant bientôt à
Hypocrite d'y pénétrer. Une fois à l'intérieur, elle
rencontre les répliques exactes de ses amis qui la prennent
pour Nessie (le monstre du Loch Ness). Elle finit par
se trouver face à elle-même, face à ce minuscule reflet
d'elle qui se met à l'auto-torturer, déclanchant un
incendie que Nessie éteindra. Nous y voyons Hypocrite
embrasser son reflet dans le miroir et plus loin les
trois Hypocrite sont réunies dans une même image. Souligné
à plusieurs reprise et avec humour par Forest, cet imbroglio
entraîne une conception narrative entièrement neuve.


Forest,
dans Comment décoder l'Etircopyh (Dargaud
1973) met en scène un Rhône endiablé, merveilleux
Rhône marécageux et torrentiel, et utilise
le pinceau de préférence à la plume ce qui
donne au dessin un certain étouffement parfois
esthétique mais pas toujours, il faut bien
le reconnaître, surtout lorsque le texte
noie et boit le reste de l'image.
Jean-Claude
Forest y
marque, plus que dans ses autres œuvres
peut-être, une prédilection avouée pour les
monstres et les difformités. Comment décoder
l'Etircopyh en est rempli : Freddy Fred,
avec ses bras multiples est ses dents de
scie, se transforme en vampire impitoyable
et cruel. Les Sissibades, femmes géantes
et jaunâtres, le Macherodus et le Mastérodon,
surgis de la préhistoire, y cohabitent et
s'affrontent.
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