La
Guerre des tranchées 1914-1918 par Tardi
"C'était
la guerre des tranchées" n'est pas un travail d'historien.
Il ne s'agit pas de l'histoire de la première guerre
mondiale racontée en BD, mais d'une succession de situations
non chronologiques, vécues par des hommes manipulés
et embourbés, visiblement pas contents de se trouver
où ils sont, et ayant pour seul espoir de vivre une
heure de plus, souhaitant par dessus tout rentrer chez
eux. En un mot, que la guerre s'arrête ! Il n'y a pas
de héros, pas de personnage principal, dans cette lamentable
aventure collective qu'est la guerre. Rien qu'un gigantesque
et anonyme cri d'agonie.
Tardi
ne s'intéresse qu'à l'homme et à ses souffrances, et
son indignation est grande. Il s'agit de l'Histoire
de l'Europe et c'est à Sarajevo que commence le XXème
siècle, celui de l'industrialisation de la mort. La
première guerre mondiale, une trouvaille qui semble
avoir plu : les gaz ont ouvert des horizons, donné des
idées, tout ça était très moderne. Toutes ces idées
étaient déjà bien ancrées chez Cro-Magnon. Cette brutalité,
c'est l'homme qui la porte en lui. Seuls les moyens
d'extermination se sont sophistiqués, et dans ce registre,
on peut tirer un grand coup de chapeau à la guerre
de 14-18 !
Le
soldat patauge lourdement dans la boue. Il est chargé
: à bout de bras, deux "bouteillons" pleins
- la soupe encore chaude -, les gourdes de vin, le pain
en bandoulière et les musettes remplies de singe. Il
cherche l'entrée du boyau qui mêne à la tranchée où
les autres attendent la bouffe. Il est presque à découvert
et ne pense qu'à ça. Quelques balles perdues finissent
leur trajectoire à hauteur de ses bandes molletières,
elles viennent s'enfoncer, encore meurtrières, dans
la boue jaune. Il fait encore nuit.
A
chaque pas, son casque mal ajusté lui cogne l'oreille
droite, gelée, prête à se casser comme du verre. Putain
d'équipement ! Vraiment, y a pas de respect pour le
contribuable qui se bat pour la Patrie !
Un
tir de mitrailleuse... Alors il plonge au sol, s'étale
à plat ventre. La crosse de son Lebel lui fiche un sacré
coup dans les reins. La soupe se répand sur le sol,
il sent la tiédeur du bouillon contre sa cuisse. Il
essaie de dégager son fusil et s'empêtre dans les brides
des musettes, les doigts plein de boue. C'est la confusion,
le bordel, la panique et il faut pas bouger surtout
! Ça tire dur et pas loin. Les balles s'écrasent à quelques
centimètres de son corps. Sûr qu'il va s'en prendre
une, là, comme un con, allongé dans la boue...Allongé
dans la merde, oui...Ça pue ! Au moins un boche qui
pourrit pas loin ! On fait plus attention aux cadavres,
il y en a tellement, par couches, des Français, des
Allemands, on leur marche dessus, on les recouvre même
plus...On vit avec et ils rendent des services,
on accroche son bidon à un pied qui dépasse de la paroi
de la tranchée... mais celui-là, de mort, il dégage
sérieux !
Le
soldat a passé la matinée à chercher de l'eau, il n'en
a pas trouvé... Il s'est bien essuyé aux pans de sa
capote. Ça se passait à Verdun.
Extrait
du volume "C'était la guerre des tranchées".
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